Par Valérie Manuelli-Chauvin, adhérente REV région PACA
Illustration : Elisa Lewis Artwork
L’Histoire nous enseigne que toutes les atrocités que l’Homme occidental fait subir aux animaux, il les a infligé un jour ou l’autre à ses propres congénères, et sans davantage de scrupules. Au nom d’une supériorité autoproclamée, il a écrit les pages les plus sombres de sa biographie.
En examinant ses crimes d’antan, il a ressenti de la honte, exprimé des remords, parfois présenté des excuses. Il s’est bien sûr démarqué de ses aïeux et de leurs actes abjects.
Il n’en est que plus désolant de constater à quel point cet être a priori doué de conscience et capable d’évolution est en fait totalement inapte à tirer les leçons du passé, à se remettre en question, à se départir de son sentiment de suprématie, de son goût de la domination et de sa sinistre habitude d’inférioriser l’autre. L’autre, celui qui, selon ses critères, n’appartient pas à la bonne race, au bon sexe ou à la bonne espèce…
Plus de 50 ans d’exhibitions ethnographiques… et racistes
La chose est relativement méconnue et étrangement absente des manuels scolaires et de la plupart des livres d’Histoire… mais en des temps qui n’ont rien d’immémoriaux, la visite de « zoos humains » constituait en Europe, et particulièrement en France, un divertissement très prisé du public. Ces parcs d’attractions étaient en tous points identiques à leurs analogues animaliers. A ceci près que les cages n’abritaient pas des animaux sauvages mais des êtres humains… sauvages. Puisque c’est bien ainsi que les Français qualifiaient les coloniaux natifs d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie.
Notre pays a accueilli des zoos humains durant plus de 50 ans, façonnant les esprits et engendrant le racisme de masse pour les siècles à venir. Ces expositions ethnographiques ont notamment fait la gloire du jardin d’acclimatation de Paris qui en hébergea plus de quarante, drainant des dizaines de millions de spectateurs. Et c’est en ce même lieu que nos compatriotes affluèrent pour visiter le tout dernier zoo humain implanté sur le sol français, en marge de l’exposition coloniale de 1931.
A l’instar des États-Unis, le vieux continent était déjà coutumier de l’exhibition d’êtres humains. Ce sont alors des personnes atteintes de malformations congénitales rares – et surnommées « les monstres » – qui font la fortune des forains et le bonheur morbide du public. Mais l’expansion coloniale permet aux exploiteurs de misère de renouveler leur « cheptel ». Après la curiosité anatomique, place à la curiosité ethnique ! Après le « monstre », voici le « sauvage ». Exit la femme à barbe, voilà la « négresse » broyant du mil avec un pilon et portant son bébé dans le dos, enveloppé d’un pagne.
« Il est interdit de nourrir les indigènes »
Imbue de sa puissance coloniale et désireuse de faire découvrir aux Métropolitains les contrées exotiques qu’elle a conquises et les « étranges créatures » qui les peuplent, la République française se félicite de cette initiative des organisateurs de spectacles et cautionne pleinement leurs agissements. A compter de 1875, on capture donc des hommes, des femmes et des enfants dans les divers territoires dominés, et on les emmène de force en France.
Dans des parcs de loisirs, on reconstitue l’environnement naturel propre à chaque contrée, à l’intérieur d’espaces vitrés ou grillagés. Puis on installe les autochtones dans les enclos, à moitié nus malgré le froid, souvent entourés d’animaux exotiques, puis on les contraint à se livrer continûment à des mascarades censées illustrer leurs us et coutumes, et scénarisées par les forains. On les oblige ainsi à effectuer des danses rituelles, à se battre, à grimper aux arbres, à imiter des cris d’animaux, à simuler des actes de cannibalisme ou des scènes de polygamie…
Sur chaque « cage » est inscrit le nom et l’origine géographique du spécimen : « Indiens galibis de Guyane » , « Touaregs du Hoggar », « Kanaks de Nouvelle-Calédonie » (à noter que l’arrière grand-père du footballeur Christian Karembeu se trouvait dans cette cage en 1931).
Sur le parcours, des pancartes stipulent : « Il est interdit de donner à manger aux indigènes. Ils sont nourris ».
Il faut en finir avec les zoos et les cirques
Quelques décennies plus tard, la chose paraît inconcevable. Un article du Monde diplomatique consacré à ce sujet (1) débute par ces mots : Comment cela a-t-il été possible ? Les Européens sont-ils capables de prendre la mesure de ce que révèlent les « zoos humains » de leur culture, de leurs mentalités, de leur inconscient et de leur psychisme collectif ?
Il semblerait que la réponse soit négative… Les Européens persistent dans leur processus d’infériorisation de l’autre et dans la désignation arbitraire de « sous-individus » que l’on peut opprimer, humilier et martyriser sans vergogne. Après les monstres, après les sauvages, après les femmes… L’Homme prétendument civilisé ne semble toujours pas résolu à vivre enfin sans victime et sans cruauté inutile… Continuera t-il longtemps à fournir aux générations futures des raisons d’avoir honte d’appartenir à son engeance ?
Pas plus que les êtres humains, les animaux ne méritent d’être capturés, exilés, encagés et exhibés. C’est pourquoi le REV a inscrit dans son programme la fermeture des zoos et delphinariums, ainsi que l’interdiction des cirques avec animaux et tout autre forme d’exhibition animalière.
Par Valérie Manuelli-Chauvin, adhérente REV région PACA
Illustration : Elisa Lewis Artwork
(1) Le Monde diplomatique – août 2000 – « Ces zoos humains de la République coloniale » par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire.
Bonjour,
Actuellement soigneur animalier dans un parc zoologique mais également végan (adhérent au REV), je suis particulièrement interpelé par cet article. Je tiens à signaler que la grande majorité des personnes impliqués dans le milieu des parcs zoologiques souhaient tout autant que vous la suppression des zoos. De nombreux programmes sont chargés de former les nouvelles générations de soigneur aux notions d’éthique, éthologie et rôle(s) des parcs zoologiques.
Malgré ma très grande volonté de voir disparaître la captivité pour les animaux et la conservation ex-situ, il est important de ne pas oublier le déséquilibre présent dans de nombreux écosystèmes engendrant des disparitions massives d’espèces. De nombreux programmes tels que les EEPs et des organismes tels que l’EAZA ou la WAZA ont pour vocation à préserver l’environnement. L’IUCN Red list est notamment un outil qui vous permettra d’obtenir les informations concernant les espèces menacées. Des efforts sont à encore à produire pour ne cibler que les espèces menacées (maintenir une diversité génétique supérieure à 90% sur 100 ans) et retirer de la captivité les espèces qui ne le sont pas.
Je vous soutiens concernant la fermeture des zoos mais attention à accompagner ce mouvement de mesures permettant la réhabilitation des écosystèmes. De nombreux spécialistes de la faune sauvage travaillent actuellement dans les institutions zoologiques et seraient plus qu’heureux de voir certaines espèces se réapproprier leur milieu et quitter la captivité.