“Zéro mort à nos frontières”: ce n’est pas un slogan mais la seule politique qui permettra de sauver nos valeurs et investir dans nos territoires, plutôt que d’enrichir le lobby sécuritaire.
Au-delà de la morale, les migrants constituent surtout un business lucratif pour les marchands de sécurité. Investir pour accueillir plutôt que refouler est la seule Realpolitik respectant les valeurs européennes.
Il y a un an, on pouvait encore douter. Emmanuel Macron affirmait que “nous devons accueillir des réfugiés, c’est notre devoir et notre honneur”. Ces jours-ci, face à l’errance de 629 êtres humains dont 7 femmes enceintes et 11 très jeunes enfants sur l’Aquarius, refoulés des ports italiens au mépris du droit international, et menacés de rejoindre les dizaines de milliers de cadavres au fond de la Méditerranée jusqu’à leur arrivée in extremis en Espagne, le Président français insultait le gouvernement italien. Mais fermait la porte. Avant de se raviser.
“En même temps”, le Sénat français continue de durcir la énième “loi asile-migration” qui trahit les valeurs de “la patrie des droits de l’homme”. En même temps toujours, un nouvel “axe” européen se forme entre Rome, Vienne et Berlin – contre “l’immigration illégale”. Les mots ont une histoire, et celle de l’Axe n’est pas belle. Entre le gouvernement italien dominé par la Lega Nord et le gouvernement autrichien, où siège le FPÖ, on est en famille. Mais quand le ministre de l’Intérieur bavarois, s’affranchissant de la tutelle de Merkel, décide de les rejoindre, la décomposition morale de l’Europe s’aggrave.
Le geste inique de Salvini démontre le cynisme criminel de la majorité de ses collègues européens. Quand l’absence totale de solidarité et les discours creux de dirigeants soi-disant pro-européens est mise à nue par l’audace odieuse d’un ministre d’extrême-droite, on ajoute de la tragédie politique à la tragédie humaine.
Certes, le tout nouveau Premier Ministre espagnol a l’espace d’un geste montré qu’il reste des dirigeants pour qui responsabilité et solidarité européennes signifient encore quelque chose. Mais cette petite touche de rose sur toile de fond brune ne changera pas la donne: la seule solidarité visible est celle de la Forteresse assiégée.
Immigration égale danger. L’équation est simple et fait recette. Et pas seulement pour les nombreuses forces politiques qui en ont fait leur capital électoral, de l’extrême-droite raciste à la gauche populiste, en passant par Gérard Collomb. Elle enrichit considérablement les marchands de sécurité. Cette grande peur des peuples rapporte gros à ceux qui l’entretiennent: des milliards d’euros de bénéfices pour les acteurs de ce marché juteux (EADS, Siemens, G4S, Thales, Airbus, etc.). Chasse aux migrants, gestion des camps de rétention, surveillance mécanique et physique des frontières, et bientôt installation de camps aux avant-postes, du Maroc, à la Turquie, jusqu’en Libye dont le scandale récent des marchés d’esclaves deviendrait la norme.
La peur génère un “pognon dingue”. D’autant plus que cette coûteuse fermeture des frontières ne découragera jamais ceux qui n’ont rien à perdre, puisque la guerre, la faim ou les changements climatiques leur ont tout pris. La solution n’est pas d’enrichir un peu plus les vautours du business migratoire et leurs relais médiatiques.
Il faut rompre avec cette logique et casser cet imaginaire. On pourrait faire appel au sens d’éthique et de solidarité de chacun mais on ne lutte pas contre la peur avec des leçons de morale. Il faut d’abord du sens pratique, et garantir une voie d’accès légale européenne à tous les migrants sans exception – on ne choisit pas ses victimes.
Revenons aux fondements de l’esprit européen: liberté, dignité, solidarité. Car comme l’a montré Angela Merkel en 2015, une politique unilatérale de générosité est insuffisante : la solution sera européenne, ou l’Europe coulera en Méditerranée.
Dans une initiative audacieuse, Gesine Schwan, universitaire et figure sociale-démocrate allemande, a publié récemment une proposition pour “relancer l’Europe par le bas”. Son originalité est double: d’une part se saisir de l’accueil des migrants pour en faire un levier de financements publics durables par l’Europe et d’autre part donner aux territoires les prérogatives pour l’organiser. Avec des soutiens déjà nombreux, de Gdansk à Naples, en passant par Berlin et Madrid, cette initiative contribue à transformer le regard, puisque les étrangers deviennent soudainement source d’enrichissement matériel – et non plus source d’angoisse.
Cette proposition met fin à la compétition entre pauvres d’ici et pauvres d’ailleurs. En outre, elle redonne un rôle positif à l’UE, qui au lieu d’essayer de “distribuer” les réfugiés distribuerait surtout les ressources. Enfin, elle redonne la parole aux communautés locales puisque c’est à leur initiative seulement que peut se mettre en place le plan d’accueil et d’investissement.
C’est donc une œuvre de réconciliation, prouvant que l’esprit de la construction européenne ne se limite pas à la réconciliation entre anciens ennemis. C’est aussi grâce à ce genre de d’initiative, entre local et européen, qu’on peut espérer trouver des solutions durables à la crise migratoire.
“Zéro mort à nos frontières”: ce n’est pas un slogan mais la seule politique qui permettra de sauver nos valeurs et investir dans nos territoires, plutôt que d’enrichir le lobby sécuritaire et ses complices politiques.
Edouard Gaudot est co-fondateur de CitoyenS (www.citoyens.solutions), et Benjamin Joyeux co-fondateur du REV (www.rev-parti.fr)
article publié initialement sur le huffingtonpost
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