Chronique d’Olivier Cohen, écrivain, pour la REV
L’oubli des causes, l’emballement des conséquences
La plupart des mesures liées à la pandémie de coronavirus concernent sa partie finale : confinement, protections, gestes barrières, médications ou miraculeux vaccins censés nous protéger de ce nouveau virus. Rarement, sinon jamais, on ne s’intéresse aux racines de la pandémie. Si l’on exclut l’idée d’un micro-organisme échappé du laboratoire P4 de Wuhan (connu pour abriter plusieurs souches de coronavirus), il nous reste l’hypothèse la plus évidente ; le coronavirus responsable du Covid 19 serait né sur un marché de viandes issues d’animaux sauvages. Cette dernière fait donc de cette pandémie une conséquence de notre consommation effrénée d’animaux et de la destruction de toute barrière écosystémique entre les espèces…. Cela l’apparente à 75% des grandes épidémies de notre histoire récente : rougeole, variole, grippes H1N1, espagnole, aviaire, typhus, tuberculose, Creutzfeld-Jacob, Ebola, Malaria, tétanos, peste, rage, paludisme… (1)
Partant de cet état de fait, plusieurs questions s’imposent. Comment une telle évidence peut-elle être ainsi oubliée ? Pourquoi les médias ne proposent-ils que très peu d’analyses des catastrophes que nos modèles économiques et industriels génèrent ? Surtout pourquoi personne ne préconise les changements que nous devons opérer pour éviter le renouvèlement de telles catastrophes ? Les causes de l’apparition et de la propagation de ces maladies paraissent pourtant simples : afin de toujours plus exploiter nos ressources naturelles, afin de multiplier les territoires de culture intensive, nous détruisons, bouleversons les écosystèmes. Nécessairement, cela porte à conséquences ! Le déboisement pousse les espèces à se masser dans des espaces de plus en plus restreints, ainsi différentes espèces de chauves-souris qui habituellement ne se croisent jamais. Un tel rapprochement pousse les virus à évoluer, muter, se transmettre avec plus de facilité. Et quand des exploitations agricoles, les élevages, bordent ces terrains jusque-là réservés aux espèces sauvages, la contamination vers l’homme devient inévitable : le mammifère, l’insecte transmet le virus à un animal que l’homme côtoie ou consomme : porc, mouton, bovin…
Très récemment, en Bolivie, dans la région de Chapare, la déforestation effectuée pour bâtir des rizières a créé un foyer épidémique, contenu de justesse (2). De même, à Bornéo, les déboisements ont causé d’importantes arrivées d’eau sur un sol jusque-là protégé. Les insectes se sont reproduits en masse et ont transmis la malaria aux récoltants d’huile de palme. A l’avenir, on peut prévoir plusieurs foyers de contaminations : les scientifiques alertent la communauté internationale sur les marchés argentins de viandes sauvages comparables à ceux de Chine. Et que dire des calamités que causera la destruction d’une des principales alvéoles de la planète : l’Amazonie ?
Quand l’ignorance détruit la vie
Défendre les écosystèmes, limiter les dommages infligés aux espaces naturels n’a donc rien d’une préoccupation écologique ingénue, mais devrait tenir de l’instinct de survie : nous ne connaissons qu’une infime partie des microbes que les jungles, les savanes, les forêts renferment, et avec lesquels vivent depuis des millénaires de nombreuses espèces ! Comme nous ignorons ce que peut impliquer la fonte du permafrost, liée au réchauffement climatique : combien de virus libèrera-t-elle ? Peut-être n’allons-nous pas compter les décès en milliers mais en millions. Notre immense orgueil, notre irrespect du Vivant, notre cupidité mettent en danger la survie de notre propre espèce.
Nous avons vécu l’expérience, plus ou moins supportable, du confinement, nous avons perdu des proches, tout ceci pour nous rendre compte que nos dirigeants sont tout à fait disposés à ce que perdure un modèle délirant, violent et déséquilibré ! Celle de l’invasion sans mesure des rares espaces où les animaux pouvaient survivre, celle de la consommation pléthorique de viande, au détriment de tout sens commun. (3) L’utilisation de farines animales a créé le syndrome de la vache folle ? L’agro-industrie continue à les utiliser… Le confinement continuel des “bêtes” d’élevage créé de véritables bouillons de culture ? Nous signons des accords avec des pays pratiquant l’élevage intensif… L’alimentation de tous ces individus concentrés est constituée de tourteaux de soja traités aux pesticides ? (4) Nous les consommons au risque de nous rendre malades par contamination… Adhérer à un tel modèle d’alimentation et de rapport à l’animal relève non seulement de la cruauté mais de la stupidité la plus crasse.
Deux poids sans mesures
Le discours dominant continue de condamner et railler tout autre modèle d’agriculture et d’alimentation. Une agriculture, voire une permaculture respectueuse des formes de vie aussi bien animales que végétales, valorisant des produits végétaux, par exemple. En France, le ministère de l’agriculture est entièrement dévoué au principal syndicat agricole, la FNSEA, et à ses “préconisations” très représentatives de cette pensée unique et auto-destructrice. La plupart des medias continuent à compiler avec docilité les prétendus dangers d’un régime sans viande et ses dangereuses « carences », qui ne peuvent, selon toute vraisemblance dictée par les lobbys, que générer des êtres mous, faibles, tristes, asexués… Pourtant, les protéines animales sont décomposées par l’organisme pour en extraire les acides aminés végétaux indispensables. Le nombre de sportifs vegans de haut niveau montre les bienfaits de cette alimentation… Les dangers d’une nutrition végétale pour le jeune enfant sont référés à un ou deux cas célèbres sans mettre en parallèle les innombrables maladies et décès liés aux intolérances, aux empoisonnements au lactose. Les débats publics dénoncent l’intolérance et le sectarisme des dangereux vegans, responsables de « violences » (mot très à la mode, ces temps-ci !) contre les bouchers, les abattoirs, les usines à fourrure ; alors que les horreurs perpétrées par nos pauvres chasseurs, ou nos abattoirs trouvent une étrange tolérance… (5)
Prendre en compte les avertissements, préparer le monde d’après
Les zoonoses doivent être considérées comme des avertissements et elles nous appellent à redéfinir notre rapport à la nature et aux êtres vivants qui ne peuvent être uniquement considérés comme des aliments. Respecter les territoires des autres animaux doit s’inscrire dans les fondements même de nos sociétés, comme la lutte contre le braconnage, du trafic d’animaux sauvages ou l’exploitation frénétique et criminelle de ce que nous désignons comme ressources. La barbarie qui consiste à tuer une autre créature doit au moins être mesurée à l’aune de nos santés puisque nous sommes, pour le moment, trop indifférents pour pouvoir la mesurer à l’aune de l’empathie ou de la bienveillance. Chaque mort d’aujourd’hui et de demain est liée à celle de l’animal que l’on peut acheter dans une barquette de supermarché, comme elle est liée à tous les portables contenant des métaux rares et que nous renouvelons chaque année… ou à toutes les denrées de la grande distribution que nous consommons sans recul ni esprit critique.
Le coronavirus n’apparaît malheureusement que comme l’une des multiples épidémies que notre manque de respect de la nature va générer. Pourtant un changement de nos modèles ne semble pas encore envisageable. Nos politiques actuels s’inquiètent surtout de retrouver le monde d’avant.
Sources :
(2) Plusieurs inquiétudes : la déforestation bien sûr mais aussi le réchauffement climatique qui pourrait libérer des virus présents dans les glaces… Une étude du « Chapare » presque passé sous silence
(3) La part de l’élevage dans le dérèglement climatique : https://www.cnews.fr/monde/2018-08-21/la-consommation-de-viande-principale-cause-du-rechauffement-climatique-725924
(5) La lutte entre deux modèles de vie semble inquiéter l’état… elle apparaît déjà comme l’un des principaux clivages politiques de demain, entre la présence d’animalistes aux élections et les actions déterminées des antispécistes
http://www.slate.fr/story/154157/vegans-vegetariens-vegephobie
Quelle est la légitimité de ce texte qui prétend dénoncer les causes mais n’évoque pas celle, fondamentale, de la surpopulation ?
Décevant 🙁