Par Aymeric Caron, Journaliste, écrivain, porte-parole du Rassemblement des écologistes pour le Vivant (REV)

Dans le film de l’artiste Adel Abdessemed présenté au musée d’Art contemporain de Lyon, Aymeric Caron y voit avant tout la souffrance exercée sur des poulets. L’œuvre a été retirée. Explications.

Accrochés à un mur, pendus par les pattes la tête en bas, ils sont alignés par dizaines comme les condamnés qu’ils sont. Leurs corps à demi mangés par les flammes se débattent. Certains agitent frénétiquement les ailes. Ils sont en train de brûler vifs. «Ils», ce sont des poulets. Ils crament en boucle devant nos yeux, sur des écrans géants, au milieu de hurlements que nous renvoient des haut-parleurs.

Ces pauvres animaux sont les victimes d’une mise en scène de l’artiste Adel Abdessemed visible depuis la semaine dernière dans l’exposition «L’antidote» présentée par le musée d’Art contemporain de Lyon (MAC). L’autodafé de ces gallus gallus domesticus est censé représenter «une allégorie de toutes les violences, notamment celles qui sont infligées aux animaux», selon les mots du MAC de Lyon. Au téléphone, son directeur Thierry Raspail, courtois mais embarrassé, me demande de considérer le «contexte» de fabrication du film. Il évoque pêle-mêle le Printemps arabe (Adel Abdessemed a intitulé sa vidéo Printemps), l’exil forcé de l’artiste de son Algérie natale, les enlèvements de jeunes filles, la violence animale, bref il m’invite «à ne pas me tromper sur le message, sur l’allégorie».

Allégorie? Mais en quoi provoquer de la souffrance animale est-il une allégorie? Il s’agit au mieux d’une banale monstration, au pire d’une apologie. Il n’y a pas d’art là-dedans. Pas de distance, pas de poésie, pas de métaphore, mais de la souffrance brute, bête et méchante, qui se rajoute à toute la souffrance qu’endurent des centaines de milliards d’animaux chaque année.

Bernés

Un argument que réfutent l’artiste et le musée. Selon eux, il n’y a pas eu maltraitance animale pendant ce tournage. L’argumentation censée nous en convaincre laisse pour le moins dubitatif. Un communiqué officiel indique en effet que «cette œuvre vidéo a été réalisée au Maroc avec une équipe de techniciens créateurs d’effets spéciaux pour le cinéma, qui utilisent couramment ce produit pour créer des effets de flammes et d’incendie qui sont sans danger. Adel Abdessemed l’a d’ailleurs auparavant utilisé sur lui-même pour son œuvre Je suis innocent qui le montre en flammes, comme les poulets de Printempsqui n’ont été soumis à cet effet de flammes que pendant trois secondes et sous le contrôle strict des techniciens et de l’artiste pour éviter toute souffrance». Voilà donc qui doit nous rassurer: comme aurait dit Gérard Majax, «y a un truc!» et nous, pauvres naïfs trop sensibles, nous serions laissé berner.

Pour preuve, cette photo jointe au communiqué du MAC. On y voit Adel Abdessemed debout dans une rue, stoïque, portant des vêtements légèrement enflammés. Comprenons bien: Adel est un poulet, le poulet est Adel. En 2012, l’artiste revendiquait d’ailleurs aux Inrocks cette communauté de destin: «Je suis moi-même un animal blessé»,affirmait-il alors. Dès lors, pourquoi s’émouvoir? Adel Abdessemed, animal blessé, a déjà mis le feu à ses vêtements, c’est maintenant au tour des poulets de subir ce sort, tout semble logique et juste. Si ce n’est qu’un détail perturbe cette démonstration: les poulets, incendiés non consentants, ne portent pas de tenue ignifugée. Et leurs plumes et pattes noircies, donc carbonisées, laissent penser qu’ils n’ont nullement été protégés par un quelconque produit miracle mais qu’ils ont bel et bien rôti. Leur agitation à l’image ne semble que la réaction logique à la souffrance insoutenable qu’ils endurent.

Colère

Une visiteuse qui a découvert en avant-première l’exposition au MAC de Lyon affirme par ailleurs qu’un employé a expliqué au public scandalisé que «les poulets étaient morts en quelques minutes». Cet employé a-t-il menti? Un point ne plaide pas en faveur de l’artiste: il y a quelques années, Abel Abdessemed avait déjà créé un scandale en filmant des animaux exécutés à coups de masse. S’est-il assagi depuis? Au cours de notre échange téléphonique, Thierry Raspail campe sur la ligne de défense officielle: il évoque le produit miracle qui protégerait les volatiles et le temps prétendument très court de leur exposition aux flammes… Peut-il pour autant m’affirmer avec certitude que les animaux n’ont pas souffert et qu’ils ne sont pas morts? Le directeur du MAC est gêné. Non, il ne le peut pas. Les images ont été tournées il y a plusieurs années et lui-même n’était évidemment pas présent sur place… Je lui explique la colère de plusieurs associations de défense des droits des animaux et la plainte que s’apprête à déposer l’une d’entre elles, One Voice. Et je lui pose une question: aurait-il accepté de diffuser le même film si, à la place des poulets, les animaux pendus par les pattes et brûlés vifs avaient été des chiens ou des chats? Aurait-il cru avec la même facilité à l’explication vaseuse d’un produit miracle rendant l’opération indolore? Par son silence, le directeur me fait comprendre que non. Illustration d’un cas banal de spécisme.

En réalité, ce film de torture animale a été accepté tel quel par le MAC de Lyon, sans aucune vérification sérieuse sur ses modalités de fabrication, parce que les animaux sacrifiés n’étaient «que» des poulets. Notre société a l’habitude de martyriser ces animaux pourtant sensibles, attachants, affectueux, inoffensifs, et évidemment sensibles à la douleur physique et psychologique. Quiconque vit à leur contact et accepte de les regarder vous dira combien ces animaux ont des qualités similaires à nos animaux de compagnie.

Quelques heures après notre coup de fil, et après trois jours de polémique, Thierry Raspail me rappelle pour m’annoncer qu’il a finalement décidé, en accord avec l’artiste, de retirer de l’exposition le film controversé. Peur de la mauvaise publicité ou prise de conscience de la problématique soulevée par les conditions de réalisation de ce film ? Peu importe, le geste mérite d’être salué. Cette histoire de poulets grillés vivants au nom de l’art peut sembler anecdotique. Elle ne l’est pas. Car ce qui était moralement accepté hier ne l’est plus aujourd’hui, et le sera encore moins demain. Le XXIe siècle doit être celui de l’antispécisme et de l’émergence de droits réels pour tous les animaux non humains sensibles, quelle que soit leur espèce.

Acte de cruauté

Des créateurs estiment encore aujourd’hui acceptable d’organiser la mort ou la souffrance d’êtres vivants sensibles en parant leur acte d’une prétention intellectuelle. En 2003, le danois Marco Evaristti avait ainsi placé des poissons rouges vivants dans des mixeurs, et proposé aux visiteurs de déclencher l’appareil. Des poissons ont sans surprise fini broyés. En 2012, une installation de Damien Hirst à Londres avait quant à elle causé la mort de 9 000 papillons.

Les espaces d’exposition divers ont le devoir de refuser désormais toute «œuvre» imprégnée de souffrance animale, afin de décourager les créateurs qui se sentiraient portés par des inspirations sadiques à l’égard de nos cousins génétiques. Est-il encore besoin de rappeler que tout acte de cruauté sur un animal est illégal et punissable en France d’une peine qui peut aller jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende? Si l’art n’est qu’une manifestation esthétisée de réflexes culturels barbares et donc dépassés, s’il oublie de participer aux progrès moraux de la société dont il est le témoin, il échoue à sa tâche. Non plus art, il devient simplement ringard. Et n’a alors rien à faire dans les musées.

Article publié  le 16 mars 2018 dans libération lien : http://www.liberation.fr/debats/2018/03/16/non-a-la-torture-animale-au-nom-de-l-art_1636650

7 Commentaires sur “Non à la torture animale au nom de l’art

  1. Jean Claude Meyer says:

    Les chasseurs eux aussi se réclament de l’art! Il suffit pour s’en convaincre de se rendre au musée de la chasse à Gien dans le Loiret. Le vrai problème c’est la chosification (réification) de l’animal (et du végétal) qui peut alors “devenir” le support d’une idée. Tout comme l’ouvrier-esclave est chosifié! Il conviens donc d’appeler à une nouvelle manière de penser, de construire un concept sans passer par le vivant “extérieur”… Dur, dur d’être un Homme… humain!

  2. sandra says:

    Ah c’est comme la corrida:de l’ART!! 😉 C’est symbolique!et nous on est trop bêtes(!) pour comprendre..d’ailleurs ils ne souffrent pas,c’est bien évident!
    Ces gens sont civilisés et loin d’eux la volonté de repaître le voyeurisme de certains L’art ne serait il pas sensé nous élever plutôt que flatter nos bas instincts?

  3. Poncet Arnaud says:

    Ce ne sont “que” des poulets!!!!! bravo l’artiste. Il n’y a aucune beauté ou art dans la souffrance animale ou humaine.

  4. Moutet (Fée des Roches) says:

    Sous le terme générique d’art on s’octroie une liberté nauséabonde. Passionnée d’art
    en général, des arts, musiques, danses, sculptures, street art…. en pleine lecture de la biographie de Vigee Le Brun….. Les génocides étaient ils une forme d’art? Les autodafés également? Irrespect pour le Vivant objectisé sous tous rapports. Combien de larmes versées et à verser encore, lovée dans le réconfort duveteux de mes poilus dont le ronron peine à freiner l’hémorragie se déversant à flot de mon coeur….
    raison perdue dans les méandres nébuleux de la finance et du profit…

    danses, sculptures, peintures, en
    pleine lecture d’une bio de Vigee
    Le Brun…. qu’est devenu l’art?
    Je soutiens et adore le street
    art…. Les génocides sont ils une
    forme d’art donc? Les
    autodafés également? Notre planète et le Vivant objectisés à outrance. De la souffrance deconsidérée…. reniée…. combien de larmes versées dans le bidou de mes pauvres chats dont le ronron anti anxiogène et réparateur soutient mon empathie surdéveloppée.

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