Par Aymeric Caron, Président du REV

Boulogne-sur-Mer, j’y suis né et j’y ai grandi. Nausicaa, j’y ai réalisé l’un de mes tous premiers reportages de pigiste d’été pour La Voix du Nord, dans les années 90, juste avant d’entrer à l’Ecole de journalisme. A l’époque je n’étais pas encore végétarien, encore moins végan, mais déjà très concerné par la cause animale, et malgré l’article aimable que j’avais rédigé (tel que l’exercice me l’imposait), je me souviens d’un sentiment étrange lors de ma visite du musée marin. Déjà cette question en tête, en voyant tous ces poissons tourner en rond derrière leurs murs de verre : « Est-ce bien ? ». Et déjà un malaise. Vingt-cinq ans plus tard, je ne me pose plus la question et j’affirme : non, ce n’est pas bien. Un poisson, un animal marin, n’a rien à faire dans un aquarium, fût-il « géant ». Car évidemment, on ne parle pas ici d’un bocal à poisson rouge, mais de près de 20 millions de litres d’eau de mer, répartis dans des dizaines d’aquariums, pour 60 000 animaux environ.

Mais aucun de ces animaux ne vit où il devrait vivre, c’est-à-dire dans son milieu naturel, et pour certains le manque d’espace, de profondeur et de repères naturels se révèle particulièrement problématique. Ainsi le 25 avril dernier, le dernier requin marteau de Nausicaa est mort. La nouvelle serait seulement triste si elle n’était pas révoltante : depuis 2011, les trente requins marteaux achetés en Australie par Nausicaa sont morts, et quasiment tous avant d’avoir été « exposés » au public, c’est-à-dire pendant leur élevage dans une réserve aquariologique construite en dehors du musée. Trop, c’est trop, surtout lorsque des spécialistes avertissent que des requins marteaux ne peuvent pas être maintenus en captivité sans préjudice sur leur santé. Le biologiste spécialiste de la vie marine Nicolas Ziani explique ainsi sur sa page Facebook que « la reproduction des requins en captivité pour la préservation des espèces (est) de la déraison : pour que des requins marteaux halicornes (Sphyrna lewini) puissent se reproduire, encore faudrait-il qu’il soient capables de supporter la “sélection non naturelle” qu’on impose à cette espèce fragile pélagique hautement migratrice et hautement sensible à la qualité de son eau ».

L’association Sea Shepherd a logiquement décidé de porter plainte contre Nausicaa pour « sévices graves et non-respect de la règlementation sur la détention des animaux sauvages en captivité, ayant entraîné la mort ».  Et note avec raison que les 3,3 millions d’euros qu’ont coûté l’achat et l’élevage des bébés requins auraient été mieux investis dans la protection des lieux où vivent ces requins.

Ce bras de fer entre un zoo et une association de défense des animaux pourrait ressembler à d’autres du même genre. Mais ce qui est particulier ici, c’est que l’avocate choisie par le zoo pour se défendre n’est autre que Corinne Lepage, avocate connue pour ses combats environnementaux et présidente d’un parti à prétentions écologiques, CAP21. Corinne Lepage a eu des combats nobles, contre les responsables de marées noires ou contre le nucléaire. Mais sur la question animale, elle affiche une surprenante indifférence, doublée de cécité. Elle déclare ainsi que « des animaux qui ont du mal à survivre dans des espaces clos, ce ne sont pas des sévices sur animaux ».  De quoi s’agit-il donc alors ? Les animaux dont parle Sea Shepherd ne meurent pas par hasard : ils meurent parce que des hommes les ont arrachés à leur milieu et forcés à un vivre dans un environnement artificiel qui ne leur convient pas. Imaginons, chère Corinne, que je vous mette dans un placard pendant un mois, en vous faisant passer un peu de nourriture chaque jour. Ne considèreriez-vous pas cela comme un sévice ? Et si vous en tombiez malade, ce ne serait pas de ma faute ?

Vous ajoutez par ailleurs, concernant ces requins : « c’est une tentative de reproduction d’animaux menacés qui n’a pas marché, c’est tout à fait clair. Mais quand on voit le nombre d’ailerons de requin coupés en petits morceaux dans le monde, je pense que l’hécatombe, elle est plutôt là… » Mais, en tant qu’avocate, comment pouvez-vous, pour justifier un acte inacceptable, simplement en citer un autre pire à vos yeux ? Quant au mot « hécatombe », il est parfaitement adapté aux requins marteaux de Nausicaa : 30 morts sur 30 individus, soit une mortalité de 100%, n’est-ce pas à vos yeux une hécatombe ? En fait Corinne, le plus décevant dans votre prise de position est qu’elle révèle tout le chemin que l’écologie politique a encore à parcourir en France. Car vous démontrez que votre pensée sur la condition animale est restée bloquée dans l’ancien temps de l’écologie, celui où les animaux n’étaient que des entités interchangeables dans des catégories-espèces dont il importait de conserver un certain volume, décidé de manière arbitraire. Non, Corinne, les animaux ne sont pas des numéros que l’on soumet à des calculs administratifs. Ce sont des personnes qui toutes, comme vous et moi, souhaitent vivre, et vivre dans des conditions qui permettent l’épanouissement. C’est pourquoi chaque mort parmi ces trente décès est un drame. 

Officiellement, Nausicaa affiche comme objectif d’être « un centre de recherche scientifique engagé et reconnu dans le monde entier », qui a pour but de « sensibiliser le plus grand nombre à la préservation de l’Océan ». Mais préserver des requins en les tuant, n’est-ce pas paradoxal ? D’autant  que sur le site Internet du projet d’extension Grand Nausicaa, les préoccupations de Frédéric Cuvillier, président de la Communauté d’agglomération du Boulonnais, sont beaucoup plus opportunistes qu’écologistes. Voilà la déclaration qu’il a choisi de mettre en avant sur ce site : « Le Grand Nausicaa sera le plus grand aquarium d’Europe avec l’objectif d’accueillir 1 million de visiteurs par an, générant ainsi de l’attractivité, du dynamisme, de la richesse économique pour toute l’agglomération. » Donc, une affaire de sous. 

Pour avoir grandi à Boulogne-sur-Mer, je ne peux que me féliciter du développement économique de la ville et des communes alentour. Mais il est moralement inacceptable que ce développement se fasse sur la peau d’animaux prisonniers de vitrines sur lesquelles ils viennent buter devant le regard ému de visiteurs peu conscients de ce à quoi ils participent. Si l’on veut rendre service à la biodiversité et à ses habitants, il s’agit de la préserver sur place, en finançant les programmes adéquats et en soutenant ici des orientations politiques qui refusent l’exploitation du vivant. Mais le temps des zoos et des aquariums est dépassé.


2 Commentaires sur “NAUSICAA : MA TRIBUNE CENSURÉE PAR “LIBÉ”

  1. Magali Domain says:

    Tout à fait d’accord avec Aymeric Caron. Calaisienne travaillant à Outreau, je passe régulièrement devant Nausicaa en pensant systématiquement, avec une profonde tristesse, à ces 58 000 animaux détenus dans ce colossal (et inesthétique) aquarium uniquement bâti pour faire du profit; car, quant au côté éducatif mis en valeur par la promo de Nausicaa, admirer requins, otaries ou raies évoluant dans leur milieu naturel via de magnifiques documentaires, n’est-ce pas plus intéressant, mais surtout plus éthique ? Oui, il faut en finir avec les zoos et aquariums où les animaux sont exploités ! Dommage que, sur cet enjeu, on ne puisse pas compter sur Corinne Lepage, pour laquelle j’éprouvais jusqu’à la lecture de cet article, une vraie sympathie…

  2. Lacroix Isabelle says:

    Bravo pour cette réflexion ! et honte à Corine Lepage qui ne prouve qu’une chose : son entière indifférence à la souffrance animale ..!

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *