Par David Joly, Coordinateur REV Hauts-de-France

C’est l’aspiration du moment. Que cette nouvelle ère post-confinement soit le début d’un nouveau mode de vie pour tous, basé sur des valeurs qui font sens, où les individus peuplant cette pauvre Terre prennent enfin conscience des vraies richesses qu’elle tente encore de nous offrir malgré les agressions dont elle fait quotidiennement l’objet. Que soit pris enfin le temps de vivre et de s’émerveiller devant toutes ces choses qui nous entourent et que nous ne voyions plus, prisonniers de la spirale infernale du productivisme et du néo-libéralisme, seuls garants de distributions de juteux dividendes pour une caste qui a fait en sorte de porter au pouvoir un valet issu de ses rangs et lui ayant fait allégeance.

Et dans cet espoir, on se dit que, oui, pourquoi pas, même les cas paraissant être les plus désespérés, ont peut-être profité de cette période de confinement pour ouvrir les yeux, leur cœur, leur esprit et prendre conscience qu’ils sont complètement à contre-courant.

C’est certainement arrivé pour certains d’entre eux. Mais malheureusement pas pour tous.

Et, ce ne sera une surprise pour personne, le monde de la chasse se présente comme l’un des plus hermétiques à cette évolution par le haut.

Des mensonges toujours plus gros

On avait déjà pu le constater en début de confinement. Alors qu’il était imposé, sous couvert d’intérêt sanitaire général, des limitations strictes quant aux déplacements privés de l’ensemble des citoyens, Willy Schraen, président de la fédération nationale des chasseurs, estimait de son côté que les chasses individuelles restaient tolérées, sans aucune limite d’espace ni de temps.

Lorsqu’il fut contredit quelques jours plus tard par le ministère de l’Intérieur, on put déceler, dans la réaction postée sur sa page Facebook, un certain agacement face à cette mesure de bon sens : «  Évidemment, même pendant une crise majeure comme celle que nous vivons, l’écologie punitive continue son travail politique contre les ruraux et la chasse en général, en faisant le siège du ministère de l’Écologie ».

Au vu de ce commentaire, il semblerait que, dans l’esprit de Willy Schraen, l’ensemble de la population rurale française s’adonnerait à la pratique de la chasse. Selon les dernières statistiques officielles, 20 % des français habitent à la campagne, ce qui représente pas moins de 13 millions de citoyens. Le nombre de chasseurs en France ne cesse de diminuer depuis plus de 30 ans et, quoi qu’en disent les instances cynégétiques relayées par des médias complaisants, le nombre de chasseurs actuel n’est pas de 1,3 million mais de 600 000 à 700 000 individus, comme l’a mis en lumière une initiative récente d’Emmanuel Macron (nous y reviendrons plus bas). En partant sur l’hypothèse que l’intégralité de ces pratiquants de la mort-loisir habite à la campagne (ce qui n’est certainement pas le cas), seuls 5,38 % de la population rurale française exerceraient une activité cynégétique. Autrement dit, 95 % de cette même population ont des relations avec la nature qui les entourent autrement que par le fusil.

Des préfets toujours aux ordres des fédérations de chasse

Une ineptie qui ne sert en fait à Willy Schraen qu’à afficher une colère de façade, puisque dès le départ il savait pertinemment qu’il allait pouvoir compter sur l’allégeance des préfets au monde de la chasse qui existe depuis des décennies.

Et c’est ainsi que l’on a vu fleurir des dizaines d’arrêtés préfectoraux autorisant, durant le confinement général, la destruction de certaines espèces (sangliers, cervidés, corvidés, etc.) sous couvert de protection des cultures agricoles ou de motifs sanitaires douteux, y compris au sein des départements les plus touchés par l’épidémie de COVID-19.

Avec, au passage, une palme décernée au préfet de Seine-et-Marne qui n’a pas trouvé mieux que de confier aux chasseurs de son département une mission de service public : le contrôle du respect des règles de confinement par les Seine-et-Marnais. (1)

Une volonté toujours plus aigüe d’exterminer le vivant

Seraient-ce ces nouvelles manifestations de servitude de la part de représentants de l’État qui ont donné des ailes à Willy Schraen pour s’aventurer là où aucun président de fédération de chasse n’avait osé jusqu’ici poser le moindre bout d’orteil ?

La France est le pays où les périodes de chasse sont les plus longues (10 mois par an en comptant les arrêtés préfectoraux relatifs à certaines espèces, contre 5 mois chez nos voisins européens) et les espèces chassables les plus nombreuses (89 contre 30 en moyenne en Europe).

Ce n’est apparemment pas suffisant pour Willy Schraen qui, le 4 mai dernier, au cours d’une interview donnée en direct sur le web pour le site Chassons.com, identifiait le chat comme le plus grand danger pour la biodiversité et proposait tout simplement de le piéger.

Extrait : « Il y avait de bonne règles avant, qui n’étaient pas des règles idiotes, qui étaient pleines de bon sens : voilà, un chat qui est à plus de 300 mètres d’une maison, on peut considérer que ce n’est plus un chat domestique, que c’est autre chose. Alors, il y avait des piégeurs, il y avait d’autres choses comme ça. Moi, je pense qu’il va bien falloir trouver une solution, une solution de bon sens. Alors, celle de bon sens, c’est ce que nous on pourrait proposer. Je pense que l’on aura quelque chose de beaucoup plus alambiqué, mais à un moment on va finir par devoir agir sur le chat. Le chat tue, mais alors bien, bien plus d’animaux que les chasseurs, c’est même pas à comparer, hein, c’est même pas à comparer. Mais il faut trouver une solution pour le chat, et effectivement le piégeage du chat à plus de 300 mètres de toute habitation, ce serait une bonne chose. Mais je le sens pas, on voit bien, on voit bien. On est attaqués de toutes parts, on nous reproche la chasse, on nous reproche la corrida, on nous reproche les combats de coqs, on nous reproche plein de choses, alors maintenant si on piège les chats, je vous dis pas à quoi ça va ressembler. »

Suite à ces propos, une pétition à destination du ministère de la Transition écologique a été mise en ligne, recueillant plus de 80 000 signatures en quelques jours.

Au vu de cette dernière et de l’avalanche de critiques sur les réseaux sociaux, Willy Schraen a alors engagé un chaotique rétropédalage, tantôt expliquant qu’il ne faisait référence qu’au chat sauvage et non au chat domestique, tantôt qu’il fallait comprendre par piégeage non pas une mise à mort mais une capture dans un but de stérilisation de l’animal avant de le relâcher.

Ce qui ne calma pas le courroux de nombre de citoyens, non convaincus par cette défense approximative.

Une inégalité de traitement toujours plus forte

Selon certains médias, Willy Schraen, ainsi que sa famille, auraient été l’objet d’insultes et surtout de menaces dans les jours qui ont suivi, ce qui a conduit l’État à les placer sous protection policière. (2)

Parallèlement, il a reçu officiellement le soutien de Guy Harlé d’Ophove, président de la fédération départementale de l’Oise, qui a indiqué sur son compte Facebook que les attaques subies par le président de la FNC sont « dignes de régime fasciste qui pratiquent (sic) la dictature de la pensée. »

Ancien conseiller régional du Front national (depuis recyclé en Républicain dans les Hauts de France où il combat d’arrache-pied les associations de protection de la nature), ayant fait ses armes dans les années 80 aux côtés de Jean-Marie Le Pen, nous pouvons faire totalement confiance à l’expérience de Guy Harlé d’Ophove dans ce domaine.

Et depuis, Willy Schraen a décidé de passer à l’offensive et d’attaquer en justice certains de ses détracteurs, dont notamment le patron de la fédération héraultaise du Parti socialiste. (3)

Il pourra pour cela compter sur les services de l’avocat Éric Dupond-Moretti, connu pour son amour de la chasse, de la corrida et pour avoir défendu, entre autres, Salah Abdeslam, l’un des terroristes impliqués dans les attentats du 13 novembre 2015, ou encore Patrick Balkany, l’un des plus grands fraudeurs que la classe politique française ait connu.

Mais revenons à cette mesure de mise sous protection policière. Dans l’absolu, il est toujours rassurant de se dire que, lorsqu’un citoyen se retrouve sous la menace d’autrui, il puisse bénéficier d’une assistance de la part de l’État afin de protéger son intégrité physique.

Cependant, une question se pose : pourquoi, lorsque le président de la fédération nationale de chasse est l’objet de menaces, se retrouve-t-il immédiatement sous protection policière, alors que lorsque des naturalistes ou militants associatifs sont menacés par des chasseurs clairement identifiés, rien ne se passe, leurs plaintes étant classées sans suite, quand elles ne sont pas refusées au moment de leur dépôt ?

Le naturaliste Pierre Rigaux en témoigne depuis des années. (4)

Une impunité toujours plus avérée

Cette clémence et cette impunité dont bénéficie le monde de la chasse concerne bien entendu le président de la fédération nationale de chasse lui-même.

Si l’ensemble des médias a évoqué la polémique sur les chats et les menaces dont fait l’objet Willy Schraen, ils sont très peu à avoir relevé que, dans la même interview, il avait clairement lancé un appel à la violence envers les opposants aux pratiques cynégétiques. (5)

En effet, à la question de comment gérer le mouvement anti-chasse qui ne cesse de prendre de l’ampleur ces dernières années, Willy Schraen n’y est pas allé par quatre chemins : « Y’a pas grand-chose à faire. J’aimerais bien qu’on en chope quelques-uns quand même. Alors, ça va faire bouillir tout le monde, je dis ça sur un truc live, donc je vous dis pas, mais quand même y’en a quelques-uns… Y’a quelques coups de poing dans la gueule qui se perdent quand même. On va le dire un peu brutalement mais c’est quand même comme ça. (…) Après, y’a les bonnes vieilles méthodes. (…) Moi je comprends le chasseur aujourd’hui qui dit : « si j’en chope un, il va prendre une bonne branlée. »

Quelle a donc été la réaction du pouvoir politique en place face à cet appel à la haine et à l’agressivité physique de la part d’un individu à la tête d’une fédération de plusieurs centaines de milliers d’adhérents où les armes létales circulent en toute liberté ? Le silence le plus absolu.

Le pouvoir encore et toujours entre les mains des lobbies

 Ce nouvel épisode à la fois sinistre et facétieux nous en apprend long sur l’état d’esprit post-confinement du pouvoir en place.

Pouvoir dont le chef de file avait pourtant clairement énoncé, lors de l’une de ses allocutions télévisées, qu’il avait pris conscience que la seule priorité qui devait désormais compter était le bien de tous et l’intérêt général.

Il est clair qu’il n’en est et qu’il n’en sera jamais rien.

Car, devant les desiderata d’un si petit lobby que sont aujourd’hui les instances cynégétiques, le vieux monde politique a une nouvelle fois ployé.

Qu’est-ce qui nous permet d’évoquer un petit lobby ? Une initiative d’Emmanuel Macron lui-même prise en 2018 afin de tenter d’inverser la chute vertigineuse des effectifs de la FNC : la prise en charge par l’ensemble des citoyens français de la moitié du coût du permis de chasse national. (6)

Jusque-là, 90 % des chasseurs se contentaient d’acquérir un permis départemental, moins cher mais leur imposant une limite géographique dans leur pratique. En ramenant le coût du permis national au même niveau que celui des permis départementaux, la quasi-intégralité des chasseurs a opté pour le premier, ce qui leur permet de chasser au-delà de leur propre département. Et c’est ainsi que l’on s’aperçoit que les effectifs réels sont très loin des chiffres avancés tous les ans par la FNC.

Le monde de la chasse n’est donc plus, depuis longtemps, ce lobby puissant qu’il était au milieu des années 70. Et pourtant, depuis cette période et jusqu’à aujourd’hui, il obtient systématiquement gain de cause sur tout ce qu’il demande et impose ses exigences au pouvoir politique en place.

Quel va donc être la réaction de ce même pouvoir politique face aux desiderata des autres lobbies pesant beaucoup plus lourd d’un point de vue représentatif et financier ? La réponse va de soi.

Dès lors, pour que le bien commun, l’intérêt général, la solidarité, priment sur la finance, l’enrichissement personnel et les intérêts privés, il est inutile d’espérer un changement radical de comportement du personnel politique actuel : servir les lobbies est l’essence même de leur engagement politique.

Non, l’ultime solution est un renouvellement total de ce personnel, remplacé par des femmes et hommes de mieux dont les décisions et les actes ne seront guidés que par une seule chose : la protection et le bien-être du vivant.

  1. https://www.marianne.net/societe/c-etait-mal-ecrit-le-prefet-de-seine-et-marne-abroge-en-catastrophe-son-arrete
  2. https://www.courrier-picard.fr/id85833/article/2020-05-14/piegeage-de-chat-le-president-des-chasseurs-sous-protection-policiere
  3. https://www.midilibre.fr/2020/05/19/piegeage-des-chats-le-president-des-chasseurs-attaque-lheraultais-hussein-bourgi-pour-injure,8894646.php
  4. https://www.nouvelleveg-magazine.com/post/pierre-rigaux-un-naturaliste-entre-la-vie-et-la-mort
  5. https://www.lavenirdelartois.fr/42856/article/2020-05-18/menace-de-mort-le-patron-des-chasseurs-appelle-macron-reguler-les-reseaux
  6. https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/franche-comte/demandes-permis-chasse-national-explosent-1711671

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