Par David Joly, co-trésorier de la REV
Les autoproclamés spécialistes de la matière économique qui font mieux que tout le monde ont beau se succéder au gré des élections, rien n’y fait : les conséquences sont systématiquement les mêmes.
Rien d’étonnant à cela car, depuis plus de vingt ans, que les décideurs soient estampillés de gauche ou de droite, la recette est toujours la même : abreuver le secteur privé de subventions et autres aides publiques sans jamais prendre soin d’imposer juridiquement des contreparties à cette généreuse distribution de l’argent des citoyens. Puis, lorsque le drame social fait inéluctablement son apparition, revêtir le costume de vierge effarouchée découvrant le caractère amoral du libéralisme économique où le salarié n’est qu’une variable d’ajustement parmi tant d’autres.
Nous avons eu de nouveau droit à cette pièce de théâtre en septembre dernier lorsque Bridgestone, fabricant de pneus japonais, annonçait la fermeture de son usine basée à Béthune, dans le Pas-de-Calais, laissant sur le carreau pas moins de 863 employés.
Cette fois, c’est Xavier Bertrand qui tint le rôle principal, en venant faire les gros yeux et gonfler les muscles devant les micros et caméras, promettant à la direction de Bridgestone qu’elle allait apprendre à rendre des comptes puisqu’elle avait ni plus ni moins réalisé un bras d’honneur à l’encontre de tous ses interlocuteurs historiques.
La colère du président de la région Hauts-de-France est compréhensible au regard de la subvention de 120 000 € qu’il a décidé de verser à cette entreprise en 2017 au titre de la formation du personnel. Il ne pouvait cependant ignorer que cette même entité avait déjà, par le passé, encaissé d’importantes sommes d’argent (plus de 2,5 millions d’euros) sans respecter les engagements qu’elle avait pris en termes de maintien de l’emploi (plus de 100 suppressions d’emploi là où il devait n’y en avoir aucune). (1)
Au regard d’un tel comportement, un élu responsable aurait-il réitérer une distribution de deniers publics pour le même bénéficiaire ? Ou, du moins, n’aurait-il pas dû prendre la précaution d’imposer des contreparties permettant de récupérer les sommes allouées en cas de manquement aux obligations ? Apparemment, pas aux yeux de Xavier Bertrand.
Il n’est pas le seul naïf dans cette histoire : l’État lui-même (ou plutôt les gouvernements successifs le représentant) a financé Bridgestone à hauteur de 1,8 million d’euros en 2018 au titre du crédit d’impôt compétitivité emploi (il est à ce sujet étonnant que les médias ne mentionnent que 2018 puisque le CICE existe depuis 2013) (2). Un crédit d’impôt dont l’objectif était, entre autres, la création ou le maintien de l’emploi… mais lui aussi accordé sans aucun engagement légalement contraignant.
À vrai dire, il ne s’agit à aucun moment de naïveté : que ce soit Xavier Bertrand à son époque (ministre du Travail de 2007 à 2012) ou les gouvernants qui lui ont succédé, la même application à se mettre au service du libéralisme prédateur et ravageur du vivant et de son environnement a toujours été le mot d’ordre : allongement de la durée de travail pour les salariés au profit d’allègements continus des charges pour les employeurs, privatisation des secteurs bénéficiaires et nationalisation des pertes des spéculateurs (30 milliards d’euros à la charge du contribuable en 2008 pour sauver les banques (3), détricotage du Code du travail, assouplissement et allègement du coût des licenciements, etc.
Une connivence entre le monde politique et celui des affaires qui fut couronnée en 2017 par l’arrivée à la tête du pays d’un banquier d’affaires…
Trois mois après cette annonce, le président de la région Hauts-de-France est hors-jeu et le Gouvernement, via sa ministre de l’Industrie, s’engage… à verser 1,4 million qui devrait permettre à trois projets d’assurer la création ou le maintien de 185 emplois, soit un peu plus de 20 % des postes supprimés.
Ce qui a été également souligné dans cette nouvelle catastrophe sociale est bien entendu le phénomène de délocalisation de la production, d’autres usines existant sur le territoire européen, où la main d’œuvre s’avère moins coûteuse, notamment en Pologne.
Un phénomène problématique loin d’être nouveau qu’une solution ô combien simplissime permet de résoudre : faire reposer l’économie du pays sur des activités non délocalisables.
Maraîchage local, culture, sport, services à la personne, gestion respectueuse des espaces naturels, renforcement de l’éducation, des services sociaux et solidaires : autant de pistes génératrices d’emplois qui font sens et qui sont source d’émancipation pour les individus qui les pratiquent. Et dont la formation nécessaire aurait été largement financée avec les millions dilapidés par la classe politique du vieux monde.
Autrement dit, il eut été judicieux d’adopter un modèle totalement à contre-courant de ce qui existe, reposant sur une valeur forte aux yeux de la REV mais qui s’avère être un gros mot pour nos dirigeants passés et présents, ainsi que pour leurs chers amis du CAC 40 : le partage.
(3) https://www.entreprendre.fr/sauvetage-banques-francaises-subprime/