Ce 5 mai marquait le 1er anniversaire de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Mais «en même temps», comme nous l’apprenait le WWF, il s’agissait également du «jour du dépassement» en France. C’est-à-dire qu’à cette date nous avons consommé, nous Français avec notre mode de vie, tout ce que la planète est capable de produire en un an. Si l’ensemble des êtres humains vivaient comme les Français, il faudrait 2,9 Terres. Nous vivons donc depuis le 5 mai en déficit écologique. Or celui-ci reste très rarement invoqué, à l’inverse du déficit public qui émaille l’ensemble des discours de nos dirigeants.

Il y a un an, on nous promettait l’arrivée au pouvoir d’un «nouveau monde», qui allait libérer les énergies, redonner confiance en l’avenir et «make our planet great again». Nicolas Hulot promu ministre d’Etat aux compétences élargies, en charge de la «transition écologique et solidaire», en était le meilleur symbole.

Où en est-on aujourd’hui ? Certes, Emmanuel Macron et quelques autres dirigeants de ce monde se transforment désormais en lanceurs d’alerte le temps d’une grande messe climatique annuelle, mais rentrés chez eux, la plupart continuent de promouvoir les mêmes politiques publiques qui n’enrayent pas mais plutôt accélèrent le désastre en cours.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’IPBES, le «Giec de la biodiversité», a rendu sa synthèse en mars sur l’état actuel de la biodiversité planétaire, et ses conclusions sont sans appel : d’ici 2050, entre 38 et 46% des espèces animales et végétales risquent de totalement disparaître, tandis que la dégradation des sols et le changement climatique vont pousser entre 50 et 700 millions de personnes à migrer. Toujours en mars dernier, le Muséum national d’histoire naturelle et le CNRS ont annoncé également les résultats de leurs études de suivi des oiseaux : en France, un tiers de leurs populations se sont réduites en quinze ans, phénomène attribué à l’intensification de pratiques agricoles comme la généralisation des néonicotinoïdes, ces pesticides neurotoxiques responsables du déclin des abeilles et de la disparition de l’ensemble des insectes. Une situation extrêmement préoccupante qui de plus, d’après les scientifiques, s’aggrave ces deux dernières années. D’après une autre étude récente publiée dans la très sérieuse revue Scientific Reports, le tristement fameux «continent de plastique» en plein cœur de l’océan Pacifique serait beaucoup plus grand que prévu, évalué à 1,6 million de km2, soit trois fois la France continentale ! Et il ne fait que s’étendre, semant la mort et la maladie parmi la faune et la flore océaniques. Le coût annuel global de la pollution au plastique a été évalué par les Nations unies à 7… trillions de dollars par an! Sur les 8,3 milliards de tonnes de plastique qui ont été produites entre 1950 et 2015, 6,3 milliards de tonnes, soit l’immense majorité, n’ont pas été recyclées et ont fini dans la nature, en particulier dans les océans où l’on continue à en déverser plus de 8 millions de tonnes chaque année.

L’accumulation de tous ces chiffres, qui n’émanent pas de groupuscules écologistes, mais d’études scientifiques indépendantes, sérieuses et objectives, donne le vertige. Ce devrait être LA priorité absolue qui nous mobilise tous, et en premier lieu nos dirigeants. On ne peut pas dire que ce soit le cas.

Les néonicotinoïdes ? Ils seront enfin interdits en France à partir du 1er septembre prochain, interdiction néanmoins assortie de dérogations jusqu’en… 2020. La pollution de l’air? Les normes de surveillance se multiplient, de même que les objectifs chiffrés de réduction des émissions de certains polluants, sans toutefois inciter parallèlement à la réduction drastique des transports, dont le principal, le transport de marchandises (les nouveaux traités de libre échange actuellement en discussion à l’échelle internationale et soutenus par notre président et notre gouvernement comme le TAFTA ou le CETA incitent d’ailleurs à faire exactement l’inverse, en total dépit du bon sens). L’invasion du plastique? Le gouvernement annonce vouloir recycler 100% du plastique en France à l’horizon 2025. Or d’après l’association PlasticEurops, notre pays est aujourd’hui avant dernier en Europe en termes de recyclage, avec un taux atteignant péniblement les 22,2%.

Les solutions soi-disant écologiques qu’on nous propose face à l’apocalypse annoncée apparaissent superficielles et déconnectées des enjeux colossaux auxquels nous devons tout de suite faire face. Face à la disparition de la biodiversité, il faut réduire drastiquement l’élevage, notre consommation de viande et changer radicalement notre modèle agricole pour tendre vers un modèle 100% bio et végétalisé, interdisant définitivement les pesticides et tout nouvel intrant chimique dans nos sols mourants et stoppant enfin cet insupportable massacre animal planétaire. Face à la pollution de l’air, il faut commencer par réduire tout aussi drastiquement le transport de marchandises et le transférer sur le fret ferroviaire, en s’inspirant notamment de la Suisse qui frôle aujourd’hui les 40% de marchandises transportées par voie ferrée (contre moins de 10% en France). Ce que l’on voudrait entendre à propos de la réforme actuelle de la SNCF. Face à l’invasion du plastique, il faut purement et simplement interdire celui-ci, comme s’apprête à le faire le Costa Rica qui s’est fixé l’objectif de l’éradiquer avant 2021.

L’heure n’est plus aux belles paroles et aux demi-mesures. L’utopie et l’irréalisme ne sont plus du côté des écologistes qui réclament la décroissance, des vegans et des végétariens qui réclament la fermeture des abattoirs et la fin de l’élevage, des zadistes qui refusent tout nouveau projet artificialisant des terres agraires… mais du côté de nos dirigeants qui défendent le statut quo et le système économique actuel, voire pire, qui désignent des boucs émissaires bien commodes comme les migrants à la vindicte populaire. Là résident le «nouveau» et l’«ancien monde».

Nous devons donc d’urgence faire émerger dans le champ politique une écologie essentielle, proposant un nouveau paradigme, encore inédit en France et tout juste émergent en Europe : une écologie qui appelle à en finir avec l’anthropocentrisme; une écologie qui cesse de proposer de petites mesures sans réel effet immédiat et sur le long terme ; une écologie qui promeut l’antispécisme, la non-violence et la fin de l’exploitation de la nature et de l’ensemble du vivant; une écologie qui rompt définitivement avec cette vision que nous avons depuis Descartes d’une nature comme ressource à exploiter et de ses animaux comme simples «machines»; une écologie qui cesse de faire croire naïvement au génie de l’espèce humaine comme stade ultime de l’évolution.

«Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui.» Martin Luther King

C’est à cette fin que nous avons lancé il y a quelques semaines le REV. Car comme le disait le regretté Martin Luther King dont nous venons de commémorer le 50e anniversaire de la mort : «Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui.» Face à la morbidité du système économique actuelle, il faut clamer haut et fort et sans aucune compromission la primauté ultime du respect du vivant.

Nous donnons ainsi rendez-vous le 12 mai à Paris pour notre première réunion publique de lancement du REV, pour enfin faire émerger radicalement le vivant en politique !

Tribune publiée dans le journal Libération (lien)

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