Par Gwenaëlle Delcros, membre REV des Hauts-de-France
Au moins 75% des maladies infectieuses humaines émergentes sont d’origine animale1. Ce n’est pas un phénomène nouveau puisqu’un virus de grippe aviaire a provoqué la grippe espagnole de 19182. Plus récemment, les chimpanzés auraient transmis l’hépatite B aux humains3. Actuellement, la vague du Covid-19 déferle sur le monde, bouleversant nos vies quotidiennes et engendrant des impacts socio-économiques à grande échelle. Comment en est-on arrivé là ? Quels rôles jouent nos rapports aux animaux et à la nature dans l’apparition des zoonoses ?
La destruction des habitats naturels
La destruction des habitats naturels des animaux au profit de l’agriculture et du développement urbain favorise les zoonoses car elle augmente la proximité avec les animaux sauvages4. Ainsi, suite à la déforestation et aux activités minières, des cas de rage ont été détectés en Amérique du Sud chez des chauves-souris dans des zones où la maladie avait pourtant disparu. De même, plusieurs maladies transmises par les tiques ont été diagnostiquées en Inde dans des zones déforestées pour la culture du riz et la construction d’habitations4. Enfin, des cas d’hépatite B ont été constatés chez plusieurs espèces animales présentes près de villages en Amérique du Sud5.
Les humains peuvent aussi propager des maladies vers les animaux sauvages, soit directement, soit par le biais des animaux d’élevage. Les animaux sauvages contaminés peuvent à leur tour devenir des réservoirs potentiels pour des infections vers les humains (et les animaux domestiques). C’est par exemple le cas du virus de la tuberculose qui peut infecter des mammifères vivants autour des habitations2. La tuberculose peut aussi provenir des élevages bovins qui contaminent les blaireaux, alors injustement massacrés6. L’Organisation Mondiale de la Santé Animale recense plus de 50 maladies affectant les animaux sauvages et susceptibles de contaminer les humains1. Si la destruction des surfaces naturelles liée à la croissance de la population humaine continue, on ne peut qu’envisager une augmentation de ce nombre dans les années à venir.
L’exploitation des animaux à des fins récréatives
Les animaux sauvages captifs forment un autre réservoir de pathogènes. Les NAC, ces nouveaux animaux de compagnie tels que les iguanes ou les gerbilles, sont responsables de nombreuses maladies infectieuses humaines. Ce phénomène est accentué par le commerce illégal d’espèces protégées, un trafic qui rapporte autant que celui de la drogue7. Par exemple, le virus de la grippe aviaire a été observé chez des oiseaux exotiques transportés illégalement4.
En outre, les élevages d’animaux sauvages constituent un environnement idéal au développement des zoonoses. Cela a été montré en Nouvelle-Zélande dans des élevages de cerfs contaminés par la tuberculose bovine4. Les animaux exotiques élevés pour leur fourrure sont aussi des vecteurs potentiels de maladies. Ainsi, des chiens viverrins échappés dans la nature en Europe de l’Est et porteurs de la rage constituent un réservoir supplémentaire pour ce virus en plus des populations d’espèces sauvages endémiques.
Enfin, dans les zoos et les cirques, le personnel et les visiteurs au contact des animaux peuvent être infectés par des bactéries (Escherichia coli, salmonelles) provoquant des maladies diarrhéiques graves, ou par la tuberculose4.
La consommation de viande d’animaux sauvages
De nombreuses zoonoses sont apparues suite à la consommation de viande d’animaux sauvages. C’est le cas par exemple d’Ebola et du Sida qui ont été transmis à l’homme par des primates non-humains (chimpanzés, gorilles, singes)3, et aussi des maladies liées aux coronavirus. Plusieurs d’entre eux ont déjà provoqué des pandémies, dont le SARS-CoV1 en 2002-2003, le MERS-CoV en 2012-2013 et actuellement le SARS-CoV2.
Le SARS-CoV1 est apparu en Chine en 2002 avant de se propager dans plus de 30 pays. La maladie s’est d’abord déclarée chez des personnes travaillant dans les restaurants et les marchés d’animaux vivants8. Dans ces marchés, les scientifiques ont isolé un virus SARS-CoV génétiquement très proche de celui touchant les humains chez des civettes, des blaireaux-furets et des chiens viverrins8,9. De plus, un virus SARS-CoV similaire existe chez les chauves-souris10,11, indiquant qu’elles seraient à l’origine de l’apparition du virus chez l’homme. La contamination à notre espèce pourrait donc se faire de deux façons. Premièrement, par contact direct avec les chauves-souris : les asiatiques utilisent leurs excréments en médecine traditionnelle, et capturent ces animaux pour les manger11. Deuxièmement, par contact avec un hôte intermédiaire telle que la civette. Les animaux incarcérés dans les marchés augmentent donc fortement les risques de transmission de maladies aux humains en jouant le rôle d’hôtes intermédiaires.
Le MERS-CoV a été identifié la première fois en Arabie Saoudite en 2012 avant de toucher 27 pays12. Là encore, des virus apparentés au MERS-CoV responsable de la maladie chez les humains ont été observés chez des chauves-souris en Afrique et en Europe13,14. En Afrique, la transmission directe du virus des chauves-souris aux humains se ferait via l’utilisation du guano comme engrais et de l’eau des grottes abritant ces animaux, et par la consommation de leur viande13. Cependant, comme dans le cas du SARS-CoV, d’autres espèces auraient joué le rôle d’hôtes intermédiaires. Il s’agit des chameaux utilisés pour les courses, le tourisme et la consommation de viande15,16, et des chèvres domestiques17. Ces animaux pourraient donc transmettre le virus aux humains via la consommation de viande et de lait et par exposition aux urines et excréments13, 16.
Enfin, le virus SARS-CoV2 qui provoque l’épidémie actuelle de Covid-19 a infecté en premier des personnes travaillant au marché d’animaux situé à Wuhan en Chine. Encore une fois, les chauves-souris seraient à l’origine du virus qui a infecté l’homme par l’intermédiaire d’une autre espèce dont l’identité est encore incertaine mais qui a probablement été commercialisée sur le marché1. Ces exemples nous montrent clairement que l’exploitation des animaux pour leur viande et autres produits dérivés représente un danger sanitaire important quant à la propagation des maladies infectieuses humaines.
L’élevage industriel
Dans les élevages, le risque d’infections zoonotiques est directement corrélé à la densité d’animaux18,19. Pour limiter ces risques et contrer les infections bactériennes, la nourriture des animaux est supplémentée en antibiotiques. D’ailleurs, l’agriculture est le premier consommateur d’antibiotiques dans le monde18. Mais le confinement d’un grand nombre d’animaux favorise l’apparition de foyers de résistances aux antibiotiques au sein des élevages. Les bactéries résistantes se dispersent ensuite via la consommation de produits animaux et via l’air, l’eau et les sols18, ce qui représente des enjeux de santé publique et environnementaux majeurs. L’antibiorésistance est (ironiquement) notamment problématique dans les cas de maladies diarrhéiques bactériennes dues à la consommation de produits d’origine animale qui touchent 550 millions de personnes chaque année dans le monde1.
Un changement de paradigme est vital
Nos relations envers les animaux autres qu’humains et la nature contribuent à l’émergence de zoonoses à travers deux facteurs. Premièrement, la destruction des habitats naturels augmente la proximité entre les humains et les autres espèces et donc les risques de transmission des maladies. Deuxièmement, l’exploitation des animaux pour notre confort ou pour la nourriture crée des conditions idéales au développement des pathogènes.
Or comment justifier l’extermination du vivant, ou les conditions avec lesquelles nous séquestrons et tuons les animaux pour leur chair, leurs œufs, leur lait, leur peau, notamment dans les élevages industriels et les marchés d’animaux vivants ? Ces comportements violents se retournent contre nous lorsque nous tombons malades et nous mourrons d’épidémies qui pourraient pourtant être évitées si nous accordions plus de valeur à la vie. Alors il est temps de construire des sociétés antispécistes où l’empathie et la compassion envers tous les êtres vivants remplaceront la cruauté et l’arrogance humaines.
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