Par Sandro Rato, référent IDF de la REV

La révolte, disait Camus, est le fait de l’homme informé. L’individu, conscient de ses droits et donc de la violation de ses droits ainsi que de ceux d’autrui, est l’agent potentiel de toutes les insurrections. La citation est plaisante par sa simplicité. Nous pouvons aussi nous remémorer les paroles de Paul McCartney : « Si les abattoirs avaient des murs de verre, nous serions tous végétariens. » L’image séduit par son optimisme malgré la mise à nu de l’horreur qu’elle appelle de ses vœux. Seulement l’horreur n’a de cesse de se révéler et le doute est de mise.

Le doute est de mise en regardant la dernière enquête de L214, montrant le sort des truies prisonnières de leur stalle et du rôle de génitrices que leur assigne l’éleveur, puis celui des  porcelets écrasés, claqués au sol, élevés pour être réduits à l’état de morceau de cadavre emballé. Le doute est de mise devant les vidéos amateur montrant ici un producteur passé à tabac par nos forces de l’ordre, là un réfugié brutalement délogé de sa tente de fortune par d’autres cow-boys en cuirasse républicaine. L’indignation pointe, la colère éclate, avant de lâchement se terrer derrière nos fausses excuses. Pour les élevages comme pour les violences policières, le doute est de mise alors que l’ignorance n’est plus permise ! 

Entre le manifestant qui défile à Paris le samedi après-midi contre la proposition de loi, dite de « sécurité globale », et un intervenant politique ou chroniqueur, qui se défile en brandissant face aux grandes audiences l’argument de l’exception devant le spectacle de la cruauté, il y a un citoyen informé, mais pas le même, c’est évident. N’est-il pas désarmant de constater à quel degré les mêmes arguments, dans ce paysage médiatique pollué, sont prémâchés ? Rabâchés ? Lorsqu’une manifestation contre les abattoirs fait l’objet d’un reportage sur une chaîne de grande écoute, la séquence suivante dresse le portrait d’un éleveur « vertueux » pleurant sur l’image que son noble métier renvoie aujourd’hui et déplorant que sa profession enregistre le plus fort taux de suicide. Lorsque les violences policières et le racisme systémique d’une institution qu’on laisse pourrir de l’intérieur sont de nouveau épinglés par des agressions filmées, sur des plateaux on nous livre le récit de la colère froide du président de la République face à ces mêmes images, on nous gave de dénonciations, main sur le cœur, des soi-disant brebis galeuses qui déshonorent l’uniforme, on nous sert la soupe tiède d’un ministre de l’Intérieur au service de la police et défenseur des agents qui se suicident, qui sont menacés et agressés. Encore, le portrait d’un agent frappé au sol en marge d’une manifestation vient appuyer l’argumentaire.

Par la faute de ces flux et contre-flux constants, de ces récits officiels qui se prétendent objectifs, un lien insidieux se dessine dans l’esprit du téléspectateur modèle/passif. Car les témoignages insistants sur la pénibilité du travail des éleveurs et de celui des policiers n’ont rien d’indécent. Ils sont au contraire primordiaux et nécessaire ! Si seulement ils dressaient le bon diagnostic… Mais les indignations forcées par les images clandestines qui laissent trop rapidement la place aux discours consensuels omettent de rappeler qu’éleveurs et animaux non-humains sont broyés par le même système qui exploite et avilit, que contribuables éborgnés ou au mieux intimidés et policiers sont victimes des mêmes ordres et des mêmes objectifs de rentabilité et de chiffre imposés à un service public en perdition ! Les circonstances ne nous permettent plus de concevoir de ces corps de métier autre chose que de la méfiance et de l’incompréhension. Alors ces reportages et prises de parole, très consciemment placés comme contre-point aux revendications de respect et de non-violence mutuelle, seraient tout à fait légitimes s’ils ne servaient pas qu’à alimenter la « guerre des images » citée par le député LREM Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID et rapporteur de la proposition de loi «Sécurité Globale ». Dans cette guerre, deux camps s’opposent, celui du pouvoir en place et celui des femmes et hommes révolté.e.s.

Supprimons l’ambiguïté s’il en est une. Personne ne niera ici la barbarie qui s’abat sur des professionnels consciencieux qui ont à cœur de faire que leur métier soit conforme à l’image qu’ils en ont. Qui imaginerait qu’un antispéciste puisse se réjouir du suicide d’un éleveur ou qu’un militant de l’émancipation ait l’envie d’applaudir à l’assassinat d’un couple de policiers ? Qui, pour faire basculer les termes du débat, a intérêt à ce qu’un lien absurde de cet ordre s’opère chez les citoyens cherchant à s’informer à travers les seuls médias mainstream ? En faisant le jeu de ces schémas simplistes, ces médias se font surtout complices du déni et de la médiocrité entretenue par le pouvoir policier. Pouvoir policier ? Nous employons ces termes à dessein dans le sens que leur prête le philosophe Jacques Rancière. Toute l’œuvre de ce penseur s’inscrit dans une critique de la philosophie politique classique dont l’objectif non avoué serait la liquidation pure et simple du politique, ce dernier étant insurrectionnel par essence. S’il n’y a plus d’opposition au pouvoir constitutif de l’ordre en place (ce que Rancière définit comme la police), l’exercice de la politique est limité à un club très privé et nous entrons dans un régime anti-démocratique car le politique n’est plus visible.

Le politique, c’est l’action qui rend visible. Il est la médiatisation honnête des manifestations de l’opposition (le pouvoir de la rue), l’expression quotidienne des désaccords et l’écoute accordée aux personnes opprimées. La fin des oppressions pour horizon. Ce politique devrait être érigé en priorité au pays auto-proclamé des droits de l’homme. Au lieu de cela, notre président, persuadé d’avoir pour lui la raison, se désole des critiques que la presse internationale ose lui adresser, liées très certainement à l’incompréhension que peuvent engendrer ses bonnes intentions… La pensée complexe, vous souvenez-vous ? 

  Contre les discriminations et les violences physiques qui découlent de nos hiérarchies arbitraires, ce n’est plus la prise de conscience qui manque, mais l’honnêteté intellectuelle pour les uns et l’efficacité politique pour les autres, nous, les militants de l’émancipation et du soin. Les actions de nos représentants, même lorsqu’elles ne sont que mises en scène pour combler l’inaction, ne sont pas mues par le manque d’information mais par le mensonge qui continue de s’armer, sur la défensive, malgré les images dont ils veulent empêcher la circulation. Cellule Demeter et proposition de loi « sécurité globale, même combat ? Oui, sans hésiter ! En tant que partisans d’une indispensable transparence, nous ne pouvons que reconnaître ce lien logique qui s’établit entre ces privations de l’accès à une certaine information, celle qui s’oppose au discours officiel. Ce discours qui, sous couvert de nuances, légitime le pire et le cynisme qui le supporte.  Mais lorsque le pire devient visible, le cynisme perdure, quitte à s’emmêler les pinceaux. Comme le rappelle Aurélien Barrau, nous avons les représentants que nous portons au pouvoir. Oser tout remettre en cause nécessite de s’opposer à ce blanc-seing qu’on leur accorde par dépit et, dès les urnes, faire le choix de l’alternative, de REVer réalités et possibles contre la violence du système en place  dont presque tout le monde s’accorde à pointer ne serait-ce que les limites. L’efficacité politique ne doit plus se jouer uniquement par l’image et la seule lutte pour une visibilité accrue des mécanismes de domination. Nous devons aller plus loin et parier, non plus sur nos seules sensibilités, mais aussi en affirmant notre mépris du discours officiel, en pariant sur l’intelligence de nos concitoyens, couramment floués par bien pire que ce « floutage de gueule », que l’inertie des débats actuels nous impose en continu.

Alors affirmons-nous, ne nous arrêtons pas ! Aussi bien dans la rue que dans les bureaux de vote !  Mens sana in corpore sano, adaptons l’adage : tout comme la santé du corps des individus qui la composent, la santé ďune société est précieuse et mérite ďêtre choyée. Informons-nous, révoltons-nous, REVons-nous. La REV soutient évidemment toutes les (dé)marches pour la sauvegarde de nos libertés, mais il convient surtout de dépasser l’odieux chantage qui nous indispose, de faire partie des forces et volontés politiques qui ne se complaisent plus dans le statu quo.

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