Par Sandro Rato, adhérent REV région IDF
Publié le 16 août 2018, le Roman La Guérilla des Animaux, de Camille Brunel (Alma Editeur) retrace les aventures d’un jeune français baudelairien devenant fanatique de la cause animale. Fiche de lecture.
“La cause appelant à la Libération animale est “le marxisme du XXIe siècle“, a déclaré a plusieurs reprises Aymeric Caron, le porte-parole du REV. Pour ce marxisme que nous défendons, Camille Brunel a imaginé un Che. Le temps de l’innocence est révolu : c’est ce que nous semblons être condamés à comprendre en suivant les pérégrinations du personnage central d’Isaac Obermann…
Ce roman était attendu par ceux qui connaissent le travail du critique de cinéma antispéciste Camille Brunel. Je l’ai donc ouvert dans la précipitation pour le refermer, 268 pages plus tard, comme l’on se réveille d’un cauchemar. Essouflé, pour ne pas dire déprimé. Je ne dis pas cela afin de décourager le lecteur, étant donné que l’état passager dans lequel ce livre m’a plongé a rapidement cédé place à l’envie d’en faire une fiche de lecture.
Le roman d’aventure évolue au fur et à mesure que les terres sauvages inexplorées deviennent balisées, cartographiées et exploitées jusqu’à perdre leur caractère naturel. Le roman d’anticipation traite de nous et du temps à venir pour pouvoir concevoir l’homme et son espace présent. Le meilleur des mondes est venu remplacer Le monde perdu. La Guérilla des Animaux est à mi-chemin entre ces deux genres à cette différence près que l’aventure, ici, explore des territoires souillés et que l’anticipation commence dès aujourd’hui.
Guerre
Le XXIe siècle est l’époque d’un monde bien connu mais d’un monde perdu. Voici venu le temps triomphant d’un humanisme suprémaciste au sein duquel Isaac Obermann, jeune professeur parisien et passablement nihiliste, ne trouve sa consolation que dans le monde animal en voie d’extinction. La mission dont il se sent investi porte en son nom la violence qu’il entend répandre : Guérilla. Il le déclare lui-même dans ce qui me semble être la phrase clé du livre : “Je suis le bras armé de cette vérité copernicienne, et je déclare à l’humanité la première et la dernière guerre de décolonisation du monde.”[p.141]
Le héros de ce livre n’est pas, on l’aura compris, le militant lambda que je suis et que vous êtes peut-être. Isaac est violent. Il incarne une colère aussi froide que la traque et le meurtre de braconniers qui ouvrent l’histoire à Ranthambore, au beau milieu de la jungle indienne… Ce sont les premiers actes d’une longue série qui ponctue ses années d’existence. Ce personnage est porteur d’un raisonnement tellement extrème qu’il choquerait même les antispécistes les plus convaincus. Cette oeuvre, qui défend pourtant la cause des non-humains, m’a heurté. Dans ce cas, j’ose à peine imaginer la réaction d’un lecteur peu informé sur les idées que nous portons, oubliant qu’il a entre les mains un roman, brandissant les discours enflammés d’Isaac Obermann avec l’idée bien ancrée que les animalistes sont des néo-nazis…
En effet, Obermann affirme que son “animalisme est un anti-humanisme”[p.122]. Mais avant cela, il aura rappelé les arguments qui sont les nôtre au REV, c’est-à-dire qu’il ne convient pas d’opposer l’Humain à l’Animal. Militer pour les animaux, c’est militer “pour la liberté de tous”. Seulement, ce héros, que je qualifie de romantique, est à la recherche d’un absolu qu’il sait déjà disparu. Déboussolé dans une société qui marginalise la défense de ce qui n’est pas humain, il entend sauver ceux qui résistent encore à la plus grande catastrophe que connaît réellement notre monde, la sixième extinction de masse. C’est notre espèce qui s’en rend responsable. Face à lui se dressent les forces réactionnaires et scientistes alliés dans la défense d’une exception humaine illusoire mais également, sur la fin, les réformistes légalistes et pacifistes.
Agression
Le nom, à consonance juive, d’Isaac n’a, je pense, pas été choisi par hasard. Les références à la Shoah sont nombreuses dans cette oeuvre où l’humanité est présentée comme malade du XXe siècle. Avec son âme-soeur, la professeure Yumiko Ivanovitch, Obermann tente d’enrayer cette épidémie de folie humaine qui se retrouve aux quatre coins du globe. L’anthropocentrisme semble être son symptôme le plus ancré alors même que l’Humanisme s’est retrouvé remis en cause par les bouleversements de ce XXe siècle. Jugeant que la non-violence n’est pas un remède suffisant, les deux guérilleros sèment les cadavres sur les océans, dans les chasses, les zoos privés et les delphinariums.
Le thème central du roman n’est pas le constat de l’urgence bien que l’extinction se déroule au fil des pages, mais finalement le sentiment d’impuissance que peut ressentir le citoyen lambda concerné. Il recoupe la question posé par le précédent numéro des Cahiers Antispécistes : “Jusqu’où aller pour défendre les animaux ?”. Si le REV est non-violent dans le sens où l’entendaient Luther King, Gandhi ou encore Mandela, le personnage d’Isaac condamne ce mode d’action comme étant, dans le cadre de la lutte animaliste, l’arme du groupe oppresseur qui se retrouve à défendre des intérêts autres que les siens. Le guérillero se présente lui-même comme étant du côté des victimes; celles qui se font harponner, celles qui se font égorger, celles qui se font fusiller pour des intérêts non essentiels.
R-Evolution
Si la littérature a évolué en délaissant un monde illimité, propre à l’aventure, pour peu à peu se rapprocher de l’individu humain (cet “être oublié” par les Temps modernes et que le roman prend en compte selon l’analyse de Milan Kundera), cette oeuvre combat l’anthropocentrisme en accordant à des individus non-humains des passages à la première personne. Cependant, l’auteur parvient à éviter l’écueil de l’anthropomorphisme, si l’on excepte l’usage du langage humain. Camille Brunel ne prête pas au requin de la Réunion de grandes réflexions morales sur la menace que représente l’humain mais dresse simplement le portrait touchant d’un être qui tente simplement de survivre.
Seulement, ce roman n’est pas porteur d’espoir bien qu’il puisse fonctionner, par moments, comme défouloir pour animaliste en colère… La violence n’apporte finalement pas plus de résultats que la non-violence dans cet ouvrage profondément pessimiste.
L’Humanité se retrouve à nouveau prise au piège de l’Histoire, éternel recommencement pour qui le veut bien… C’est là ma profonde déception qui dépasse le cadre de ce livre mais englobe le roman moderne dans son ensemble… Pourquoi cette phobie des fins heureuses ? Le message politique infuse-t-il mieux dans le désespoir ? Si cela était en mon pouvoir, j’appellerais les écrivains de la nouvelle génération à pointer leur plume dans le sens d’une littérature de l’espoir.
Dans tous les cas, si vous vous perdez dans cette rentrée littéraire, je vous invite à faire le choix de lire ce roman intense mais avec le recul nécessaire pour rester dans la non-violence.
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Merci pour cette sélection intéressante car tout à fait dans l’air du temps. Ce roman est de la même veine que “Le zoo de Mengele” de Gert Nygårdshaug dans sa trilogie de Mino Aquiles Portoguesa, chasseur de papillons qui deviendra le bras armé de l’Amazonie (pour ceux qui ne connaissent pas).