Témoignage par Sandro, REVolutionnaire

Logo d’XR : Un cercle représentant la Terre entoure un sablier symbolisant l’urgence.

“Nous sommes la rage du phacochère, la carapace de la tortue, les défenses de l’éléphant, les racines du chêne millénaire qui viennent défoncer le béton”. Voici un aperçu du refrain scandé par les activistes d’Extinction Rebellion Paris le Samedi 5 octobre au matin. Nous étions un millier de manifestant.e.s à avoir investi le centre commercial  Italie 2 sur le coup de 10h30, avec plusieurs organisations issues des luttes écologiques et sociales. L’opération s’était maintenue jusqu’à 4h00 du matin. Aujourd’hui, alors qu’un campement s’étend au centre de Paris pour la Rébellion Internationale d’Octobre (RIO pour les intimes), je voulais, en tant que REVeur et rebelle, adresser mon soutien à celles et ceux qui, à travers le monde, ont pris l’urgence à bras-le-corps pour dessiner les contours d’une révolution non-violente, solidaire, nécessaire. 

“Il faut réprimer très rapidement” ces mouvements “violents” déclarait lundi 7 octobre  Ségolène Royal au micro de France Inter. Selon l’ancienne ministre de l’écologie sous François Hollande, Extinction Rebellion (XR) décrédibiliserait les luttes en faveur de l’environnement qui, elles, ne seraient pas incompatibles avec le développement économique. En juin dernier, suite à l’évacuation brutale des militants du pont de Sully, François de Rugy, qui occupait alors le même poste que madame Royal auparavant, leur adressait une critique analogue, niant l’existence de revendications chez XR. Peu importe mon implication personnelle dans les actions susmentionnées; ces mots m’ont fait mal. Doublement. Ils sont non seulement le reflet d’un mépris insupportable de la part d’hommes et de femmes politiques, de représentant.e.s, censé.e.s être au fait des conséquences du dérèglement climatique et du mode de vie consumériste, du péril que représente la sixième extinction de masse dont l’homme est responsable mais surtout, ils témoignent d’une communication basée sur la désinformation. Cet appel de Madame Royal à réprimer un mouvement qui fait de la non-violence un principe inviolable n’est pas que nauséabond, il est irresponsable !

XR porte des revendications, assez explicites, largement diffusées mais trop rarement prises en compte par les premier.e.s intéressé.e.s. Rappelons-les simplement :

1- La reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles et une communication honnête sur le sujet.

2- La réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025, grâce à une réduction de la consommation et une descente énergétique planifiée.

3- L’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant.

4- La création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et garante d’une transition juste et équitable.

Ce sont leurs propres mots. Le message est clair; les petits pas, ça ne suffit pas. C’est une question de survie, on ne le répétera jamais assez et toujours trop pour celles et ceux qui semblent décidé.e.s à ignorer la menace. Mais, au-delà du signal d’alarme, il s’agit d’un appel à changer la vie en modifiant profondément la conception que l’homme se fait du vivant qui fédère autour de ce très jeune mouvement. XR ne s’inscrit pas dans la continuité du discours classique de l’écologie politique concernant la préservation des ressources pour l’usage des générations futures. Non, cette vision tend à être dépassée par les principes mêmes qui forment leur charte morale. Une phrase en particulier a pu retenir mon attention tant elle entre en adéquation avec les valeurs de la REV :
“La biodiversité doit être reconnue et respectée pour sa valeur intrinsèque et pas uniquement pour les “services” qu’elle nous rend.”

Nous parlons ici d’humilité, de repenser la place de l’homme dans le monde. Tuteur plutôt que destructeur. Nous pouvons comprendre ce qu’est l’écologie essentielle à partir de cette affirmation. Car ce voeu formulé par XR est au coeur du programme de la REV. Plutôt que d’évoquer la Nature, terme qui mérite d’être questionné, nous préférons insister sur le Vivant, notion pleinement inclusive au sein de laquelle notre espèce saura trouver sa juste place. 

XR participe à faire de l’écologie un projet global de société même si les activistes ne revendiquent pas une idéologie en particulier. Dans la pratique, nous sommes tou.te.s des essentiel.le.s. En plus de souligner l’urgence à agir pour les humains, l’ajout d’une mention incluant les “non-humains” ou les “autres espèces” est constante dans les divers communiqués du mouvement. C’est notamment le cas sur la tribune, publiée dans Reporterre, qui annonçait l’action de convergence du 5 octobre [https://reporterre.net/Nous-ne-demandons-rien-a-l-Etat-nous-voulons-tout-reprendre-la-joie-la-liberte-la-beaute]. Je pense qu’il s’agit bien d’un premier pas vers l’antispécisme. C’est aussi pour cette raison que j’ai eu le plaisir de me joindre à La Dernière occupation avant la fin du monde avec une camarade végane que je tiens à saluer ici. 

Au même titre que d’autres organisations telles que ANV-Cop 21 qui sont parties du constat de l’impuissance des manifestations déclarées, la désobéissance civile pratiquée dans une non-violence active est évidemment privilégiée pour les actions d’Extinction Rebellion. Elles nous surprennent par leur organisation parfaitement rôdée et une répartition des rôles, suivant des formations spécifiques, qui n’enferment pas pour autant les participant.e.s qui peuvent toujours changer de poste suivant le déroulement de l’action. Les médiateur.trice.s, reconnaissables à leur gilet orange, informent les passants et veillent à maintenir la cohésion du groupe dans la bienveillance; les médiactivistes alimentent de leurs images la base arrière qui se charge de la communication; les artivistes libèrent leur créativité et une équipe médicale est toujours présente en cas de problème tandis que les bloqueur.se.s ainsi que les peacekeepers, spécialisés dans le dialogue avec les forces de l’ordre, sont au premier plan. 

Des cantines végétales et des ateliers s’installent. Des chants, des chorégraphies, des pancartes, des idées s’improvisent.  Le moindre désaccord fait l’objet d’un débat cordial et les militants se remettent sans cesse en question sans rendre des comptes à une hiérarchie quelconque. Chacun.e peut l’expérimenter; sur chaque blocage d’XR, les langues se délient, les gens osent se parler et des sourires s’échangent à chaque croisement. La confiance entre les participant.e.s est telle qu’il n’est pas rare de rencontrer des enfants accompagnant leur(s) parent(s). Des chiens peuvent également circuler librement.

C’est une réappropriation citoyenne qui s’opère à chaque occupation. Les lieux que nous empruntons quotidiennement (les routes, les centres commerciaux, etc) échappent à notre contrôle. Les intérêts privés qui s’y affrontent dépassent trop souvent notre appréhension. Sur cet état de fait, XR invite à prendre part à la construction d’une communauté, aussi éphémère soit elle, aperçu d’une société plus désirable, résiliente et régénératrice. 

Il est peut-être malvenu de qualifier de ZAD les blocages auquels nous assistons cette semaine dans pas moins de soixantes capitales. Il n’y a rien à défendre dans les territoires perdus de la démocratie. Si la Rebellion Internationale d’Octobre portée par XR a pour vocation d’investir ces lieux d’une manière relativement durable (l’objectif des dix jours a par exemple été décidé par les rebelles de la place du Châtelet), je préfère parler de Zones Intérieures Clandestines (Z.I.C). Ce sont des espaces où l’on rebat les cartes, dans lesquels on ne demande rien à l’Etat sinon de pouvoir exister, où l’on débat dans des Assemblées Générales régulières, où l’on met l’accent sur l’amitié comme mode de vie, la coopération pour une répartition équitable des tâches, où l’on met en place une société du temps libéré tout en gardant pour le moment à l’esprit le caractère provisoire d’un tel microcosme…

Qu’écrire de plus ? Les mots sont vains, les militants ne cessent d’en pointer les limites. Puisque “le lyrisme des cabanes ne suffit pas” comme le souligne l’économiste et philosophe Frédéric Lordon, la REV s’efforcera simplement d’apporter une réponse politique à la hauteur de ces mobilisations exceptionnelles. C’est en tant que REVeur que j’encourage cette solidarité internationale. C’est en tant que rebelle que je me joins à cet élan qui mène les alternatives à terme. Avant qu’il n’y ait plus rien (pour paraphraser Les Cowboys Fringants).

Roger Hallam, le cofondateur d’Extinction Rebellion au Royaume-Uni le rappelait ; c’est une révolution qui est en cours et elle se fera sans guillotine. Une Révolution pour le Vivant.

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