Par Sandro Rato, REV Ile de France

Le 8 mai sonnait, comme chaque année, l’heure des commémorations. En 1945, la France libérée sortait en effet du conflit le plus meurtrier du XXe siècle ; la Seconde Guerre mondiale. On peut encore se demander comment l’homme, espèce civilisée, a pu s’enfoncer si profondément dans l’abomination en emportant quarante millions de ses congénères. Mais en tant qu’antispéciste, vient aussi à l’esprit la question du sort des animaux non-humains. Ce souci qui semble pourtant naturel chez nous a toujours été, de force, reléguée au second plan. “On s’en fiche” diront les uns ; “vous pensez vraiment que c’est le moment d’en parler ?” questionneront les autres avec une conviction teintée d’indignation. Force est de constater, cependant,  que le sujet a bien été soulevé ; sur France 3, mercredi soir. En prime-time, le service public a accompli son devoir de mémoire avec la traditionnelle diffusion de documentaires historiques. Réalisé par Jean-Christophe Rosé, porté par la voix douce et grave de Marc Lavoine et appuyé sur de nombreuses images d’archives dont certaines ont été colorisées, 39-45 : Les animaux dans la guerre traite en une heure et demie du lourd tribut que les non-humains ont payé en servant la folie des hommes. Au REV, cet effort pour une mémoire inclusive n’a pu passer inaperçu.

Au début, on a peur. Le premier plan montre Hitler sur sa terrasse du Berghof avec vue sur la montagne et entouré de chiots; puis la voix off de commencer : “Hitler, qui a toujours aimé les bêtes…” On marque une pause. Va-t-on nous resservir le mythe du plus connu des dictateurs amateur de légumes ? “Saviez-vous qu’Hitler était végétarien ?”, on imagine déjà l’index accusateur pointé vers les animalistes. Répondons une bonne fois pour toutes :”Saviez-vous qu’en tant que carnivores, vous partagiez le même régime que Staline, Paul Pot et Mussolini ? Toutes mes félicitations, vous êtes un héros !” Mais passée l’angoisse, on constate, rassuré, que le reportage aussi prend le pli de l’ironie : “qui a toujours aimé les bêtes, pour peu qu’elles soient allemandes, bien sûr.” 

Le commentaire est là pour rappeler que “les bêtes ne choisissent pas de camp” et le traitement que l’Allemagne du régime nazi a réservé aux quadrupèdes et autres volatiles n’était pas plus progressiste que dans les autres nations. Au contraire, il était résolument meurtrier. Si les rapaces étaient mis à l’honneur, c’était pour leur formidable aptitude à tuer. Ainsi pouvait-on admirer l’épervier fondant sur sa proie, réhabilité pour son seul acte de prédation. Les chiens, dès lors qu’ils se montraient doux ou indifférents à la férocité, malgré le dressage brutal, se trouvaient exclus. Même chose en Angleterre, où les lévriers brisant la nuque du gibier étaient comparés aux avions de chasse qui abattaient les Allemands venus bombarder les aérodromes britanniques.

Dans cette Histoire, parfois émouvante, souvent cruelle, il ne faut pas oublier que ces êtres, érigés au rang de symbole, l’ont toujours été malgré eux et contre leurs impératifs biologiques. Toutes les combinaisons que l’on testaient sur les autres animaux pour rassurer les humains, tels ces masques qui empêchaient les chiens stressés de haleter en sont l’un des tristes témoignages, sans compter que l’équipement devait se faire dans la précipitation une fois dans le feu de l’action. De nombreuses infections, pour cause de mors mal posé étaient à déplorer chez les chevaux allemands épuisés, traînés jusqu’à Moscou car Hitler voulait prendre la ville avant l’hiver 1940.

On découvre aussi les rennes finlandais, parfaitement adaptés à l’hiver du nord, dont les coussinets de chair se recouvrent de poils afin de progresser sur la glace. Ces mammifères grégaires ont été isolés des leurs et réquisitionnés pour de longues traversées en troupeaux reformés sur des plaines et lacs gelés. Tout cela alors que l’URSS attaquait le pays en novembre 1939. L’Union soviétique formait littéralement les chiens au suicide. Ils étaient habitués à chercher leur pitance sous les chars, afin que la bombe qui leur enserrait le poitrail explose au contact de l’acier. Ironie du sort ; ce n’est pas toujours sous les blindés de l’adversaire que les canidés allaient tirer leur révérence.

Le Blitzkrieg ou “guerre éclair” qui ne pouvait annoncer que la désolation, a laissé les campagnes, notamment françaises, vidées de leurs habitants humains qui ont fui les bombardements. Les animaux domestiques, eux, restaient, livrés à une liberté qu’ils n’avaient jamais expérimenté dans les rues des villes ruinées. Exception faîte de l’Angleterre, où les exercices d’évacuation prenaient même en compte les animaux de ferme et où les animaux de compagnie étaient pris en charge par les associations. Presque partout ailleurs, ils accompagnaient les vaincus dans leur défaite mais pas dans leur fuite. “Qu’est-ce que la mort d’un cheval ? [questionne la voix off.] Juste une image”, celle de cet équidé, terrassé à Stalingrad, étendu sur l’asphalte, la tête embourbée dans la boue, tandis que les voitures passaient sur le côté. Le schéma fût le même en Afrique du Nord, où Anglais et Italiens s’affrontaient. Lorsque les villes furent reprises à l’ennemi, les animaux apprivoisés, petits singes, oiseaux exotiques, comme les animaux domestiques s’en trouvèrent délaissés. Les dromadaires, quant à eux, étaient condamnés à porter, à travers le désert, des kilos de provisions et de carburant, forcément trop lourds. Parfois leur sort choquait les humains, ils assuraient leur survie et leur victoire sans même le savoir. Etait-il permis d’espérer que l’on passe de l’émotion à l’action.

Revenons aux chevaux; toujours placés au premier rang. Six millions sont morts entre 1939 et 1945. Au Japon, ils soulignaient la noblesse de l’empire et du shintoïsme d’Etat. En Pologne, ils portaient les soldats, forcés de charger pour repousser en vain la Wehrmarcht, leur corps servant de cible aux mitrailleuses puis écrasés par les chars. Leur bravoure n’est certainement pas assez soulignée. Ici encore, le camp n’est pas un sujet. Comme Louise Michel décrivait leur sort pendant la Semaine sanglante qui écrasa la Commune de Paris en mai 1871 : “J’ai vu les cavaliers défoncer les rassemblements avec les poitrines de leurs chevaux ; la bête, meilleure que l’homme, lève les pieds de peur d’écraser, fonce à regret sous les coups.” [Mémoires, 1886].

Si l’on traite avant tout de la participation active des bêtes, le film ne fait pas l’impasse sur le régime particulièrement carné que fût celui des soldats, qu’ils attendent l’ennemi durant la “drôle de guerre” où qu’ils se servent en vainqueurs dans les fermes. Cependant, aucune image d’abattoir n’est dévoilée, peut-être parce-que la situation n’est pas spécifique à la guerre. Le documentaire finit sur cette note amère; le nouveau monde poursuit de se reconstruire sur le dos des non-humains, “éternels prolétaires”. C’est toute la contradiction de nos rapports avec eux qui est, ici, facilement identifiable. Des individus consolent leur maître (à l’instar de Fala, le chien de Roosevelt), lorsque d’autres sont livrés en pâture (des familles américaines n’hésitaient pas à faire don de leur chien à l’armée). Il est inutile de préciser que la plupart ne sont pas revenus, contrairement à ce qui était affirmé dans les spots de propagande.

Comprendre leur sort dans ces situations extrêmes, c’est déjà envisager une cohabitation pacifique avec les animaux non-humains. Construire leur histoire est une tâche ardue mais essentielle; des historiens comme Eric Baratay l’ont entamé, pour le meilleur espérons-le. “L’histoire est une science des vivants dans le temps” comme ce dernier l’a rappelé dans un entretien pour Ballast [ https://www.revue-ballast.fr/eric-baratay-animaux-ont-ete-oublies/], au REV, on entend s’en souvenir. 


5 Commentaires sur “39-45 : Les animaux dans la guerre. Une tourmente bestiale.

  1. Léo Wachowski says:

    Merci beaucoup pour cet article ! Je suis heureux de voir que certaines personnes mettent, à juste titre, en avant les animaux pendant la guerre ! Eux aussi, étaient des victimes !

    Très bon travail.

  2. Lacroix Isabelle says:

    Je viens d’en apprendre beaucoup en quelques paragraphes…: ( Je savais, bien sûr, qu’aucun animal n’avait été épargné…Quand viendra le temps ou nous leur rendrons réellement hommage, même si cette année, il y a eu, oui, un petit effort de mémoire ? Quand nous en arriverons là, nous serons alors autant capable de réaliser à quel point nous sommes aussi, voire encore plus, monstrueux actuellement avec eux, alors que nous sommes maintenant, en temps de paix…

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